Accueil > Précis de lambertologie appliquée - Saison 25 : texte et commentaires de (...) > Impressions d’Allemagne depuis que la crise économique a éclaté, par Willi (...)

Impressions d’Allemagne depuis que la crise économique a éclaté, par Willi Hajek

mardi 25 janvier 2011, par Club Politique Bastille

Note de la rédaction : voici le texte que Willi Hajek nous a fait parvenir et qui devait être l’ exposé d’introduction de la réunion du "Club socialisme maintenant" du 18 décembre 2010, à laquelle, pour des raisons indépendantes de sa volonté (maladie), il n’ a pu assister. Nous mettons ce texte sur le site ce qui nous permettra de préparer une prochaine rencontre avec Willi au printemps prochain.

Il y a quelques années, c’était en 2004 pour être plus précis, un congrès de la Gauche syndicale (Gewerkschaftslinke) avait connu une discussion animée à propos de la question de savoir d’où viennent les grands mouvements. Naissent-ils des collines ou des marais ? Les collines, cela veut dire les grandes entreprises et tout particulièrement les industries métallurgique et automobile. Dans ces industries là il y a toujours eu des groupes d’opposition fortement organisés dans les entreprises, qui ne se fiaient pas à l’action représentative du syndicat mais encourageaient et soutenaient l’autonomie des salariés de l’entreprise. Une pratique qui a conduit dans les années 1970 et 1980 à une série de grèves sauvages, donc non contrôlées par les centrales syndicales, mais animées depuis les entreprises par des syndicalistes de base. Qu’on pense aux grèves chez Ford à Cologne en 1972 qui ont vu pour la première fois la participation visible de l’immigration turque et, la même année, les grèves chez les sous-traitants de l’automobile menées surtout par des ouvrières immigrées comme chez Pierburg à Neuss. Les syndicats officiels de l’IG-Metall [i] avait alors réagi par des procédures d’exclusion mais ils n’avaient pas pu éviter que les années suivantes un opposition de base prenne racine dans de nombreuses grandes entreprises comme chez Opel à Bochum ou chez Daimler à Stuttgart.
Mais le débat dans la Gauche syndicale n’avait alors pas seulement envisagé d’attendre la disposition à agir des collines mais avait voulu examiner plus attentivement les marais qui s’élargissaient toujours plus, ce domaine toujours plus grand du travail précaire et des secteurs peu organisés syndicalement des petites et moyennes entreprise ainsi que de la force de travail vendue par les agences de travail temporaire.
Aujourd’hui la question serait donc plutôt : comment pouvons-nous depuis les collines et depuis les marais agir ensemble malgré les conditions initiales et les formes organisationnelles très différentes ?

A mon avis, avant l’éclatement de la crise, il y a eu trois évènements importants qui ont eu une grande signification pour l’évolution jusqu’à aujourd’hui. Malheureusement les divers courants de la gauche allemande ne les ont été guère étudiés de près :

- En 2004, la lutte défensive du personnel de Opel à Bochum contre les licenciements massifs. Une assemblées des délégués d’atelier (Vertrauensleute/ personnes de confiance) prit la décision d’occuper l’entreprise. Les syndicalistes de base prirent ainsi le contrôle de l’usine, soit presque 10’000 travailleurs. Un grand mouvement de solidarité s’est étendu à la région de la Ruhr et à tout le pays. C’était enfin du sérieux et de l’action. Les fonctionnaires syndicaux de l’IG Metall restèrent en dehors du mouvement et n’eurent guère d’influence durant ces six jours. Ces six jours de prise de pouvoir furent ressentis comme un coup d’arrêt aux concessions incessantes aux patrons. La peur avait changé de camp. Le résultat fut vécu comme une demi-victoire. Les effectifs furent diminués mais sur une base volontaire avec une forte indemnité de départ, entre 100’000 et 200’000 € pour la plupart.

- Le gouvernement SPD/Verts du chancelier Schröder annonça des nouvelles mesures aggravées contre les personnes sans revenu, les « potentiels fainéants et planqués ». Ils ne devaient désormais plus pouvoir vivre des généreuses aides aux chômeurs en restant couchés dans leur hamac mais il fallait rendre plus sévères les contrôles administratifs (en obligeant à ouvrir toutes les pièces des dossiers personnels). Les taux des indemnités de chômage furent diminués. L’inventeur de ce paquet de mesures était Peter Hartz, chef du personnel chez Volkswagen, chouchou du SPD et de l’appareil du syndicat IG Metall. Il fallait amener les gens à ne plus formuler des exigences à l’égard du travail salarié. Quelques années plus tard, ce même Peter Hartz était licencié par VW puis condamné en justice pour avoir corrompu des syndicalistes et des membres des comités d’entreprise. Ces lois dites Hartz IV ont déclenché une multitude de protestations de la part des secteurs de la population qu’elles affectaient. Durant l’été 2004, un ingénieur de Dresde, au chômage depuis longtemps, ancien dissident contre le régime du SED en RDA[ii], rédigeait tout seul un tract qu’il distribuait un lundi matin en ville de Dresde pour protester pour la dévalorisation croissante et l’appauvrissement de la force de travail. Le tract fut reproduit et distribué ailleurs par d’innombrables personnes. Les lundis suivants, de plus en plus de manifestants et manifestantes se réunissaient sur tout le territoire de l’ex-RDA, culminant en une démonstration massive à Leipzig qui a réuni plus de 60’000 personnes. Au fond, ce mouvement était la continuation du mouvement de 1989 en RDA et ce n’est pas un hasard si de nombreux anciens opposants d’alors y participaient. Mais en Allemagne de l’Ouest il n’a pas été possible de mobiliser massivement la population. Il ne fut pas possible d’empêcher les lois dites Hartz IV mais ce fut néanmoins la première grande lutte politique opposant la rue au parlement fédéral dans la nouvelle Allemagne réunifiée. Ce qui est intéressant dans ce mouvement, c’est qu’il a jeté les bases de la fondation du parti Die Linke, alors que des secteurs de la bureaucratie syndicale du DGB et particulièrement du syndicat des services publics ver.di collaboraient à l’élaboration des mesures de Hartz IV. Ce mouvement suscita dans tout le pays une grande sensibilité au travail précaire qui allait croissant, à la pauvreté croissante. Il attira aussi l’attention sur le phénomène de l’identité de vue croissante de tous les partis représentés au parlement. Il faut dire que dans la ville de Berlin qui compte 3 millions d’habitants, 21,6% des habitants de moins de 65 ans, ainsi que leurs enfants, vivent des versements d’aide selon Hartz IV.

- Le troisième événement fut la première grève des chemins de fer à l’échelle de tout le pays organisée durant l’été 2007 par un petit syndicat de conducteurs de locomotives, GDL. Ce syndicat qui n’appartient pas au DGB organise en majorité des cheminots non pas en tant que fonctionnaires comme à l’Ouest, donc privés du droit de grève, mais comme des employés des chemins de fer, qui jouissent donc du droit de grève. Les négociations de la nouvelle convention collective duraient depuis des années et beaucoup de cheminots étaient très insatisfaits de l’action du grand syndicat des chemins de fer Transnet. En effet, celui-ci ne tenait pas compte des charges de travail particulières des différents groupes professionnels, en particulier celles du personnel roulant. C’est ainsi que des milliers de cheminots avaient passé au syndicat GDL afin de mieux pouvoir défendre leurs intérêts, par la grève en particulier. Cette grève portait sur la diminution du temps de travail et sur le salaire, mais aussi sur l’amélioration des conditions de travail en général. Des tracts furent distribués dans toute l’Allemagne qui décrivaient tout simplement le quotidien des conducteurs de locomotives, leur conditions de vie, leur charge horaire, leurs salaires médiocres justement en comparaison avec les cheminots des autres pays européens, ainsi que la responsabilité sociale importante qui est la leur. Rarement des tracts avaient suscité autant d’intérêt. Dans mon expérience, ce n’est comparable qu’avec les tracts et feuilles d’information publiés par le personnel soignant à Berlin, et qui eux aussi décrivaient les conséquences des mesures d’économie sur leur quotidien avec les malades. Beaucoup d’usagers des chemins de fer ont lu ces tracts avec une grande curiosité et la grève fut vraiment très populaire, malgré toutes les perturbations qu’elle causait à la vie des gens. Il y eut des tracts publiés par des usagers des chemins de fer en soutien aux grévistes et des assemblées organisées par des syndicalistes critiques. Mais de façon significative, seule la centrale du DGB et le syndicat des cheminots Transnet refusèrent de se solidariser avec la grève.

Ces trois mouvements de grève résument un peu les évènements antérieurs à l’éclatement de la grande crise en 2008 et font voir combien sont apparus sur le devant de la scène des acteurs qui n’appartiennent ni aux grands syndicats ni aux grands partis établis. Ce furent des mouvements indépendants, mais reçus très positivement par des larges secteurs de la population et qui ont agi en retour sur la conscience des acteurs sociaux qui se mobilisent.

L’éclatement de la crise

- Les collines

Les effets de la crise furent dès son éclatement en 2008 perceptibles et visibles dans toute la branche de la production d’automobiles et du transport. Les volumes de marchandises passant dans les ports baissèrent de 60%. L’industrie chimique qui produit beaucoup de matières premières pour l’automobile commença à introduire le travail à temps partiel. Les syndicats du DGB et les grandes entreprises de la métallurgie se mirent tout de suite d’accord sur le travail à temps partiel financé par les caisses de l’agence du travail (Agentur für Arbeit). General Motors, le plus grand constructeur automobile du monde, et propriétaire de Opel, semblait acculé à la faillite et était mis en vente. Les personnels de Opel devaient choisir entre des racheteurs italiens, canadiens ou russes. Ce théâtre dura des mois avec, dans les rôles principaux du spectacle, quelques uns des principaux dirigeants syndicaux. Toyota, de son côté, réduisait ses capacités de 60%. Le gouvernement fédéral allemand répondait par un programme conjoncturel d’exception, la prime à la casse à l’achat d’une nouvelle voiture, afin de contribuer à freiner le recul.
A la surprise générale, la situation du marché automobile s’est améliorée assez vite, spécialement dans le domaine des produits de luxe comme Audi, Daimler/Mercedes et BMW qui ont trouvé en Extrême Orient, au Japon et en Chine des débouchés avec une forte demande pour leurs voitures.

Mais, parallèlement, dans toutes les entreprises les travailleurs temporaires et tous les salariés à durée déterminée furent licenciés et leurs contrats ne furent pas renouvelés. La plupart du temps, les représentants syndicaux de l’IG Metall ont dans les comités d’entreprises approuvé sans résistance. Mais à VW Hanovre, un groupe de salariés à durée déterminée s’est révolté, a d’abord protesté devant le comité d’entreprise, puis a organisé devant la porte de l’entreprise une grève de la faim contre leur licenciement. Ils ont dressé des tentes, un mouvement de solidarité s’est formé, des petits syndicats comme la FAU(Freie Arbeiterunion) ont été très actifs comme ils l’avaient fait autrefois lors de l’occupation de la fabrique de bicyclettes à Nordhausen. Notre réseau Labournet.de diffusa les nouvelles de la grève de la faim en tant que plateforme Internet indépendante. Seuls les syndicats de l’IG Metall, et tout particulièrement la majorité des membres du comité d’entreprise chez Volkswagen, se distancièrent de la grève alléguant rien moins que « leur souci de la santé des grévistes de la faim ». Presque tous les grévistes de la faim ont retrouvé aujourd’hui du travail chez VW. Ce n’est pas un hasard si une telle action est partie d’une usine de Hanovre où il y a quelques membres critiques dans le comité d’entreprise et des syndicalistes de base actifs, la plupart issus de l’immigration turque.
Durant la première phase de l’éclatement de la crise des vifs débats ont eu lieu dans quelques entreprises de l’automobile à propos de la renonciation aux prétentions de salaire et de congés, dans l’intention d’assainir l’entreprise pour la rendre à nouveau compétitive. A Bochum, IG Metall a organisé un vote des personnels qui a donné une majorité de justesse en faveur de la renonciation aux prétentions de salaire et de congés. Lors des élections des membres des comités d’entreprises, quelques listes d’opposition ont été présentées qui prenaient position contre cette renonciation. A Berlin et à Stuttgart, IG Metall a réagi par des procédures d’exclusion du syndicat qui sont à ce jour en cours.

Les marais

Dans le secteur du commerce, une branche avec une forte proportion de salariés précaires, l’année 2007 a vu se prolonger durant des mois des négociations de renouvellement des conventions collectives. Il y a eu des grèves et des barrages devant les supermarchés, certaines actions très vivantes, toutes plus ou moins abandonnées à leur sort par le syndicat ver.di et par conséquent avec peu d’atouts pour être victorieux. A Berlin, il y a eu une collaboration avec des comités de soutien qui ont bloqué l’accès aux supermarchés. Les salariés sont en majorité des femmes et pour beaucoup d’entre elles il fallait beaucoup de courage pour se déclarer ouvertement comme grévistes. Dans de nombreux magasins règne une ambiance collective très répressive, c’est à dire que les éléments rebelles sont vite isolés. La caissière Emmely était une de ces grévistes qui à certains moments faisaient la grève toutes seules. La direction lui a reproché d’avoir soustrait pour un euro cinquante de tickets de rabais et l’a licenciée sans délai. Un mouvement de soutien s’est formé parmi les rangs des salariés qui bloquaient les portes, réunissant des syndicalistes de base. Un comité de solidarité s’est formé qui a lutté deux ans et demi pour la réintégration d’Emmely. Au début personne ne lui donnait aucune chance. Le syndicat ver.di s’est vite retiré du mouvement de soutien. Mais la campagne s’est révélée finalement un grand succès. Aujourd’hui Emmely travaille de nouveau à la caisse du supermarché. Sa détermination et son courage, de même que toutes les actions qu’a fait naître la campagne en sa faveur, ont montré que les choses peuvent être changées. La campagne de solidarité pour Emmely est devenue en Allemagne un symbole qui marque qu’en pleine crise on peut lutter seul mais qu’une lutte isolée peut acquérir rapidement des dimensions à l’échelle de toute la société, justement parce que tant de personnes vivent aujourd’hui des situations d’oppression analogues. C’est cela qui a fait surgir une solidarité spontanée. Dans ces actions se sont réunies de nombreuses personnes qui ont raconté leurs expériences, leurs conflits et leurs petite luttes.

Depuis la lutte des conducteurs de locomotives du GDL en 2007, nous avons assisté à un éventail croissant d’activités de syndicats sectoriels ainsi qu’à la fondation de nouveaux syndicats, tout particulièrement dans les transports, les chemins de fer, le transport aérien, mais aussi chez les pompiers et dans le secteur de la santé. Ils ne revendiquent pas seulement de l’argent mais une meilleure qualité du service aux usagers et luttent contre la mise en danger croissante que provoque la politique d’économies tant des personnels que des usagers.

Un mouvement indépendant s’est développé à Berlin parmi les salariés des cinémas. Ils ont commencé à s’organiser et ont cherché des forces syndicales qui soutiennent leur démarche d’organisation indépendante à la base. L’exemple du cinéma Babylon est emblématique. Le syndicat FAU (Freie Arbeiterunion/Union libre des travailleurs) a soutenu le personnel du cinéma et a été pour cela traîné en justice par l’exploitant du Babylon. Il se trouve que l’exploitant est très proche de Die Linke et du syndicat ver.di et le cinéma Babylon, que la municipalité subventionne, passe pour un cinéma de gauche. En première instance, le tribunal a interdit à la FAU toute activité syndicale. Ce jugement a suscité la constitution en ville de Berlin d’un comité pour les libertés syndicales où se retrouvent les activistes des différentes initiatives des mois précédents : Le Comité de solidarité avec Emmely, Le Comité de soutien des syndicalistes exclus par IG Metall, des membres de la FAU, des scientifiques, des syndicalistes de base, tous réunis pour rétablir le droit à la liberté de coalition. L’audience en deuxième instance, devant le Tribunal du travail, a tourné en manifestation dans une salle pleine. Cette pression populaire, qui s’étendait bien au-delà du petit syndicat FAU, a fait la différence. Le tribunal dans sa sentence a mis la FAU au bénéfice de la liberté de coalition.
Ces évènements au niveau local de Berlin ont permis que dans un même conflit se retrouvent et apprennent à agir ensemble des acteurs qui auparavant se limitaient à marquer les divergences qui les séparaient les uns des autres. Au premier mai 2010 à Berlin, cela s’est vu nettement. Quelque chose avait changé, pour une partie des militants au moins. Et le même phénomène s’observe ailleurs en Allemagne aussi.

Combien cette autoactivité est prise en compte par les grands syndicats et par les associations patronales se manifeste dans la tentative de la direction du DGB de faire voter au parlement fédéral une loi qui impose l’unité de convention collective. Par une telle loi, le DGB et les patrons veulent fixer légalement le monopole des syndicats établis et empêcher que de plus en plus de syndicats sectoriels comme le GDL, la Fédération de Marburg (Marburger Bund) dans le domaine de la santé et Cockpit dans le transport aérien, mais aussi des syndicats syndicalistes (Sic/ syndikalistische Gewerkschaften), puissent se répandre. Par une telle loi, ils veulent forcer exactement ce que le Tribunal du Travail de Berlin a en deuxième instance désapprouvé dans l’affaire de la FAU. Car le besoin d’organisations capables d’agir et le besoin d’actions efficaces contre les conséquences de la crise s’exprime de manière croissante. C’est le Comité berlinois pour les libertés syndicales qui est en train d’organiser le mouvement de protestation contre le projet de loi. Cela peut devenir un pas en avant dans la construction d’un réel réseau syndicaliste de base pour développer des formes de résistance par l’autoactivité des salariés qui font naître un mouvement en osant se donner la force de viser une transformation sociale. En somme un processus de subversion !

1- Industriegewerkschaft Metall /Syndicat industriel métal. Un des huit syndicats de branche du Deutscher Gewerkschaftsbund (Union allemande des syndicats) qui est l’organisation faîtière des syndicats allemands, héritière des syndicats d’inspiration sociale démocrate fondés à la fin du XIXème siècle. Le DGB comptait en 2002 sept millions de membres.
2- Sozialistische Einheitspartei/Parti de l’unité socialiste. Le parti dirigeant de la République démocratique allemande jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989. Il s’appelait ainsi parce que l’autorité d’occupation soviétique de l’Allemagne de l’Est avait imposé en 1946 une fusion du KPD (Kommunistische Partei Deutschland/Parti communiste allemand) et du SPD (Sozialdemokratische Partei/Parti socialdémocrate). Sa direction fut formellement paritaire jusqu’en 1955 quand elle devint l’exclusivité des dirigeants de l’ex-KPD.

Après la chute du mur, éclairage de Bernd Gehrke

Interview : Bernd Gehrke fut militant de l’opposition de gauche dans l’ex-RDA depuis les années 1970. En 1989, il fut parmi les cofondateurs de la Ligue verte et de l’Initiative de la gauche unie. Il est l’auteur de nombreuses publications sur l’opposition et les luttes pour les libertés démocratiques dans l’ex-RDA.

Peux-tu rappeler ces journées où le Mur fut abattu ?

La chute du Mur, le 9 novembre 1989, fut le résultat d’un mouvement de masse spontané et démocratique, exprimé dans d’impressionnantes manifestations qui grandissaient à un rythme stupéfiant. Ce mouvement a forcé à démissionner non seulement Honecker, le tout-puissant secrétaire général du parti stalinien SED, mais aussi le Politburo et le gouvernement. Le 9 octobre, les 70 ?000 manifestants à Leipzig firent une découverte sensationnelle ? : malgré les préparatifs à une guerre civile, le pouvoir n’avait pas utilisé la force. Honecker voulait lancer les chars, mais il a été débarqué par la majorité du Politburo qui essayait de sauver son pouvoir par une « ?politique de dialogue ? ». Ce fut mission impossible ? : 400 ?000 manifestants à Leipzig, 500 000 à Berlin Est, des manifestations en province. Tous les jours, des dignitaires tombaient dans une allégresse croissante. Alors, la chute du Mur, ce fut l’apogée, la folie. Personne n’arrivait à y croire.

Comment ce mouvement en est-il arrivé à exiger le démantèlement de la police politique Stasi ?

La révolution démocratique a eu plusieurs phases. En été, il y a eu la fuite à l’Ouest de 10 000 jeunes par la Hongrie, qui a ouvert sa frontière avec l’Autriche. Septembre fut marqué par l’apparition ouverte d’organisations de l’opposition. En octobre, les ouvriers, jusque-là passifs, se sont joints au mouvement. Les manifestations exigeaient la légalisation des partis d’opposition et le respect de la constitution, aboutissant à la démission du gouvernement, du Politburo, et à l’ouverture du Mur. La vieille clique dirigeante pensait calmer les gens et les faire rentrer chez eux. Mais les anciennes institutions étaient toujours là, et on a commencé à exiger leur dissolution. Les structures du parti et ses milices dans les entreprises ont été dissoutes. Le conflit autour de la Stasi a éclipsé les autres. Le gouvernement « ?réformateur ? » de Modrow l’a dissoute, mais la population s’était rendu compte qu’on brûlait des documents à la hâte. Des manifestations ont eu lieu partout, avec occupation des immeubles de la Stasi, puis l’assaut du siège central à Berlin Est, le 15 janvier. Des comités citoyens démocratiques se sont constitués partout pour surveiller la dissolution.

Qu’est devenu le parti communiste ?

Des 2,5 millions d’adhérents en août 1989, le SED n’en comptait plus que ?00 000 six mois plus tard. Un conseil provisoire s’est formé autour de Gregor Gysi et a convoqué un congrès extraordinaire. La tentative de certains rénovateurs démocratiques de dissoudre le SED, de détruire le vieil appareil et de repartir avec une organisation nouvelle a hélas échoué. Le SED a été transformé en Parti du socialisme démocratique (PDS), surtout pour sauver les biens du parti. S’ensuivirent des scandales concernant ces biens et les liens omniprésents avec la Stasi. Après un tel « ?renouveau ? » les anciens oppositionnels de gauche ne pouvaient pas rejoindre ce parti ? ; aussi parce que les petits groupes de l’opposition de gauche se sont malheureusement désintégrés avec la disparition de la RDA.
L’effondrement de la dictature à l’Est et la réunification du pays furent une avancée démocratique pour les travailleurs allemands ? ; mais sur le plan économique et social, ce fut la restauration du capitalisme à l’Est. Comment

La gauche allemande voit cette contradiction ?

Ce n’est pas l’opinion de la gauche allemande. Les avis sont partagés, à l’image de la gauche, très hétérogène. Cela va de certains groupes qui dès le début étaient pour l’unité de l’Allemagne, jusqu’aux staliniens pour qui ce fut une contre-révolution téléguidée par l’Occident et qui a liquidé le « ?socialisme réellement existant ? ». Seule une minorité de la gauche, en dehors du SPD, a bien accueilli la réunification de 1990.

Pour certains, la disparition de la RDA fut un recul. Mais peut-on construire le socialisme au travers d’une dictature policière, et dans un pays occupé par une armée étrangère ?

Seule une partie de la gauche pose cette question. La majorité voit l’occupation et la division de l’Allemagne comme une juste punition pour le fascisme et la guerre. Ton affirmation disant que l’unité allemande fut un progrès pour la classe ouvrière est complètement déconnectée de certains problèmes politiques et sociaux importants. Je pense que nous devrions faire une distinction entre, d’une part, la chute, nécessaire et légitime, de la dictature stalinienne et l’unité de l’Allemagne « ?en soi ? », et, d’autre part, la forme concrète que cette unité a prise sous un régime conservateur et réactionnaire. C’est vrai que l’unité allemande en 1990 fut le résultat de la volonté des travailleurs est-allemands. Mais ces derniers ont suivi aussi le slogan de la CDU ? : arrêt des expérimentations sociales, progressistes, et retour au capitalisme allemand éprouvé. Cela allait de pair avec la défaite de toute la gauche allemande, de l’Est comme de l’Ouest. Les résultats furent catastrophiques ? : une désindustrialisation, unique dans l’histoire, d’un pays industriel s’est opérée en 3-4 ans ? ; 1,7 million de personnes ont quitté l’Allemagne de l’Est depuis 1989.
Il faut discuter non seulement de la restauration du système économique capitaliste en soi, mais aussi de la victoire du néolibéralisme à tous les niveaux de la société et de la reconstruction réactionnaire de l’Allemagne. Les travailleurs est-allemands ne sont donc jamais arrivés là où ils voulaient en venir en 1990, à ce « ?capitalisme prospère ? » de l’Allemagne de l’Ouest. En croyant aveuglément dans la politique libérale de privatisation à l’Est, les travailleurs y ont contribué considérablement. Cela dit, tous les mouvements sociaux importants en Allemagne depuis 1991 sont généralement venus de l’Est ? ; mais c’étaient des luttes défensives.
Il faut des débats approfondis pour déterminer le caractère du processus historique de 1989 à 1991. L’unité allemande a été fondée en grande partie sur une alliance entre les travailleurs est-allemands et la bourgeoisie ouest-allemande. La réunification avait donc un caractère réactionnaire, et non pas progressiste, comme celle réalisée par Bismarck en 1871. Bismarck conduisit une « ?révolution par en haut ? ». Les travailleurs en RDA ont brisé leur révolution et réalisé une « ?restauration par en bas ? ». Cela n’a pas conduit au retour d’une dictature comme celle du SED, mais à la liquidation des restes de la « ?révolution stalinienne par en haut ? » en 1945-1948 (par exemple la nationalisation des usines) et des structures révolutionnaires naissantes d’une « ?république rouge-verte ? » en 1989.
La réunification a signifié un arrêt de la révolution démocratique en RDA, avec ses perspectives progressistes (même si elles n’étaient pas socialistes) d’émancipation démocratique, sociale et écologique de toute l’Allemagne. L’alternative, c’était une unification sur pied d’égalité de la « ?démocratie civile ? » en RDA, radicalement démocratique et sociale, avec la République fédérale. Jusqu’en décembre 1989, la grande majorité des Allemands de l’Est restaient attachés à une RDA démocratiquement transformée. La Table ronde entre l’opposition et le pouvoir voulait réaliser de nombreuses revendications avancées par les syndicats et la gauche de l’Allemagne de l’Ouest, dans la perspective d’une future unité allemande.
Les discussions sur une « ?troisième voie ? » en 1989-90 gardent leur valeur, tout comme les idées de démocratisation du Printemps de Prague en 1968 ou le programme de Solidarnosc en 1981, en tant qu’alternatives au néolibéralisme et au capitalisme. Hélas, la majorité de la gauche allemande ne comprend pas quels trésors peuvent renfermer de telles alternatives. Je constate avec plaisir que les jeunes étudient le Capital de Marx dans les universités allemandes, et qu’on voit le retour des débats sur les alternatives socialistes.

Propos recueillis par Roman Debski.

Août 1961 - Construction du « mur de la honte » par le régime de la RDA. Raison : l’exode massif vers l’Ouest, quand les déplacements à Berlin étaient encore libres (plus de 3,5 millions d’Allemands quittent la RDA entre 1945 et 1961).
C’est une large bande de terrain de plus de 20 kilomètres, enfermée entre deux murs, avec barbelés, miradors, alarmes, pièges et chemins de ronde, surveillée par des milliers de soldats et mille chiens de combat.
On estime à plusieurs centaines (de 200 à 1000 selon les sources) le nombre de tués, de 1961 à 1989, en tentant de fuir Berlin-Est, par les sinistres Vopos (garde-frontières est-allemands). Le nombre d’emprisonnés pour tentative de « désertion » avoisinerait les 100 ?000. Des anciens dirigeants de la RDA ont été condamnés en 1997 et 2004 pour avoir donné l’ordre de tirer sur les fugitifs.

Point de vue sur le congrès du Link Partei à Berlin ou le renforcement d’une orientation droitière, par Edith Bartelmus-Scholich (1)

Le congrès du parti à Berlin a, comme prévu, validé pour l’essentiel le programme présenté par la direction pour les élections législatives du 27 septembre 2009, accentuant même sur certains points son orientation droitière. Les amendements anticapitalistes ou des propositions favorables aux intérêts des salariés ou des chômeurs, ont été repoussés, à de rares exceptions près, par la majorité des délégués. Le congrès s’est plié à la mise en scène de la direction visant à donner aux médias l’image d’un parti harmonieux et discipliné. Le dynamisme et l’ouverture des congrès de 2005 et de 2007 appartient au passé.

En 2005 le Linkspartei PDS s’était présenté aux élections avec le slogan « pour une nouvelle conception du social ». Quatre ans plus tard, la revendication de 2005 a été abandonnée. Le programme électoral s’intitule « fermement social. Pour la démocratie et la paix » et n’inclut aucune conception nouvelle du social, car il se situe complètement dans le cadre de l’ordre social et politique tel qu’il a été pensé et mis en œuvre essentiellement par la social-démocratie au cours du 20ème siècle.

C’est Oskar Lafontaine qui a présenté aux délégués le programme électoral. Partant du mot d’ordre « Oser plus de démocratie et de liberté » et des contraintes de la crise économique mondiale, il a esquissé un programme qui vise un réaménagement et une réorganisation de l’économie de marché. A aucun moment, la logique du profit et de la concurrence n’a été remise en question. Il faut produire comme avant, toutefois Die Linke envisage de faire des salariés, dans cette société capitaliste, des actionnaires de leur entreprise. De plus, la cogestion devra être étendue. Ceci est justifié par le fait que la coresponsabilité des salariés évite les erreurs du système et met les intérêts sociaux des salariés au centre, comme c’est dit dans le chapitre 2 du programme électoral. Une position déjà inacceptable sur le plan théorique, car l’idée qu’une participation des salariés puisse abolir les lois du marché est insoutenable. Peu importe qui possède une entreprise dans l’économie de marché mondialisée, ce sont les lois du marché qui décident. La participation des salariés et un élargissement de la cogestion ne constituent qu’une nouvelle forme de collaboration de classes. Mais dans la pratique aussi, de telles tentatives ont déjà été faites par le mouvement ouvrier et ont toujours échoué comme on pouvait s’y attendre. Die Linke passe ces expériences sous silence. Toute tentative de rénover et d’élargir les compromis entre les classes du siècle dernier auxquels le capital a renoncé, est par ailleurs impossible, car les conditions économiques, qui prévalent depuis 1990, n’incitent en aucune manière le capital à rechercher un nouveau compromis

Partant du fait que ce n’est pas le capitalisme qui a échoué mais uniquement le capitalisme financier et que le compromis de classe passé est actualisable, Die Linke propose des réformes pour contrôler les marchés et humaniser les règles néolibérales du marché. Aucune des revendications n’est élaborée en partant exclusivement de la nécessité de satisfaire les besoins des catégories de personnes qui sont censées en profiter. Les revendications se limitent à chaque fois à ce que la direction du parti considère comme réaliste, possible en vue d’une coalition, même si de ce fait, ces revendications deviennent insuffisantes. Il manque la volonté politique de défendre sans réserves les intérêts des salariés.

De la même façon que dans le domaine de la démocratie économique, die Linke veut remettre au goût du jour les idées de la social-démocratie des années vingt du vingtième siècle, elle se rapproche de celle des années soixante-dix en ce qui concerne la démocratisation de la société. Même si le refus des restrictions des libertés publiques et l’exigence de transparence et de davantage de démocratie directe sont évidemment partagées par les autres forces de gauche, il faut insister sur le fait qu’une société dans laquelle la démocratie s’arrête devant les portes des entreprises et des administrations ne sera jamais ni démocratique, ni libre et que la cogestion exercée par des représentants non contrôlés, que Die Linke veut étendre, ne correspond pas à ce qu’on peut attendre d’une véritable démocratie sociale

Le programme est défensif, non pas seulement dans ses grandes lignes, mais aussi en ce qui concerne de nombreuses revendications isolées. Il y a des progrès par rapport au programme de 2005 pour ce qui est du montant du salaire minimum et de l’augmentation du revenu minimum d’existence à 500€. Ces positions ont pu être conservées comme objectifs à moyen terme grâce à la pression sur la direction exercée de l’intérieur et de l’extérieur du parti au printemps 2009 et en dépit des interventions pressantes des politiciens « réalistes » de l’Est du pays. En revanche il ne fut pas possible de faire accepter une revendication suffisante pour la réduction du temps de travail. Même un amendement modéré pour que le parti exige que la semaine de 35 heures soit le minimum légal a été repoussé au nom de l’impossibilité de trouver un allié pour défendre ensemble cette revendication au Parlement. Par ailleurs, en demandant seulement que l’on revienne sur la retraite à 67 ans, Die Linke a opéré un recul par rapport à 2005, où le parti exigeait encore la retraite à 60 ans. On voit ici comment après une lourde défaite, il adapte ses revendications aux nouvelles conditions dictées par la classe dominante.

La ligne défensive de la direction renforce au sein du parti l’aile droite des « réalistes » de l’Est. Cela s’est vu au congrès, où la direction n’était pas seule à défendre l’idée qu’il faudrait à l’avenir participer au gouvernement dans les cinq Länder de l’Est et même y avoir des présidents de Länder. Sans être aucunement troublés par le fait que la crise économique et le la limitation sévère des déficits budgétaires inscrite dans la Constitution ne permettra pas aux gouvernements des régions de faire autre chose que de terribles coupes sombres dans les programmes sociaux, la clique des responsables de l’Est au complet aspire à gouverner avec le SPD dès que possible et où c’est possible. Parallèlement les présidents de Land et les têtes de liste à l’Est annonçaient qu’en cas de participation gouvernementale, ils sont prêts à rester très en deçà du programme. C’est le SPD et non pas Die Linke qui bloque la constitution de gouvernements « rouge-rouge » assure Oskar Lafontaine. Au vu de ces perspectives pour les Länder, on peut à peine se consoler en pensant qu’aujourd’hui encore l’entrée du parti die Linke au gouvernement fédéral est impossible en raison de ses positions en politique étrangère

A mesure que l’aile droite profite de la ligne de la direction du parti, l’aile gauche se retrouve toujours plus sur la défensive. A la différence du congrès de préparation des élections européennes de la fin février où il y avait une courte majorité pour des amendements de gauche, la gauche du parti a perdu des positions à Berlin. Le présidium et la direction du congrès s’accordaient manifestement pour trouver que les initiatives de la gauche dérangeaient l’organisation qu’ils avaient prévue. Non seulement des membres de la direction du congrès se sont permis de reprendre des orateurs de gauche et de polémiquer avec eux, mais la liste des orateurs établie par le sommet ne laissait que très peu de place à la gauche, et des contributions provenant d’anticapitalistes furent même étouffées. Certains amendements n’ont délibérément pas été soumis à la discussion ni au vote. Des centaines de marque-pages promotionnels du journal en ligne indépendant « scharf–links » furent retirées de la circulation par des membres du service d’ordre ainsi qu’un tract du réseau de la gauche socialiste « Marx 21 ». Le SDS et le courant droitier « Forum du socialisme démocratique » purent en revanche déposer sans difficulté des tracts sur chaque siège. Die Linke démontre ainsi que la seule liberté d’opinion qui lui importe est celle qui permet aux opinions qui conviennent à la direction de s’exprimer

Certains membres de la direction du parti et de l’appareil se montrèrent répressifs et même méprisants à l’égard de militants de leur propre parti alors que ceux-ci venaient au congrès comme spectateurs. Tout d’abord ils furent empêchés d’entrer par les membres du service d’ordre. Finalement le congrès accepta la proposition d’une jeune déléguée de mettre fin à cette pratique. Cependant d’autres membres du parti se virent quand même interdire l’accès. Lorsque je demandai à un membre du service d’ordre pourquoi la décision du congrès n’était pas respectée il me fut répondu : « vous devriez être contente, vous pouvez quand même travailler plus tranquillement lorsqu’il n’y a pas trop de contestataires dans la salle »

(1) Edith Bartelmus-Scholich est éditrice du journal en ligne « scharf-links » consulté chaque jour par des milliers de militant-e-s de la gauche allemande qui y trouvent une information critique de qualité en particulier sur ce qui se passe dans Die Linke…

Allemagne : le congrès de Die Linke affiche son soutien pour l’UE, par Dietmar Henning

Le congrès européen du parti Die Linke (La Gauche) qui eut lieu le week-end dernier à Essen, dans la région de la Ruhr, s’est prononcé sans équivoque en faveur de l’Union européenne. Ce faisant, Die Linke remplissait une condition de base pour son éventuelle participation au gouvernement après les élections fédérales qui doivent se tenir en septembre prochain.

Tous les intervenants, y compris les deux présidents du parti, Lothar Bisky et Oskar Lafontaine, ont précisé que le rejet du parti du Traité de Lisbonne n’était lié à aucune hostilité en tant que telle envers l’UE. Bisky, qui a été désigné tête de liste pour les élections européennes en juin prochain par plus de 93 pour cent des délégués, a dit : « Die Linke ne tient ni à abolir l’Union européenne ni à revenir à une exclusivité des Etats-nations. » Lafontaine a tenu des propos similaires. « Il n’y a pas d’ennemis de l’Europe à ce congrès », a-t-il dit. Il n’est nullement contre l’Union européenne mais est plutôt en quête d’une « UE différente ».

Avant le congrès, un débat vigoureux s’était engagé au sein de Die Linke au sujet du Traité de Lisbonne qui avait été élaboré pour remplacer la constitution européenne qui échoua en étant définitivement rejetée par les électeurs français et néerlandais lors des référendums de 2005.

Die Linke est l’un des trois groupes à avoir déposé une plainte contre le Traité de Lisbonne auprès de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht). Deux membres de Die Linke qui sont tous deux des députés allemands de longue date au parlement européen, Sylvia-Yvonne Kaufmann et André Brie, ont exprimé leur soutien au Traité de Lisbonne. En raison de leur soutien au traité, ils ont tous deux été évincés de la liste des candidats retenus par la direction du parti pour les élections européennes de cette année.

De ce fait, certains médias avaient reproché à Die Linke d’être « anti-européen » (FAZ) et de représenter une opposition « radicale » et « une attitude critique vis-à-vis du système » de l’UE (West Allgemeine Zeitung (WAZ) et Die Welt). Bisky et Lafontaine se sont efforcés tous deux de réfuter ses affirmations.

L’Union européenne avec son énorme appareil bureaucratique de Bruxelles représente sans ambiguïté les groupes financiers et économiques les plus puissants d’Europe. Au nom de la libre concurrence, l’UE impose la suppression des droits des travailleurs, applique une redistribution fondamentale des ressources sociales au profit des riches et défend aussi les intérêts des grandes puissances européennes par des moyens militaires. Le travail de l’UE est dicté par une armée de membres de groupes de pression à Bruxelles et ses institutions opèrent en se soustrayant pratiquement à tout contrôle démocratique.

Die Linke ne rejette pas l’Union européenne. Au contraire, il essaie de draper l’UE du manteau de la démocratie. C’est en cela que réside la véritable signification de la plainte juridique déposée contre le Traité de Lisbonne.

Lafontaine réclame un référendum sur le traité, davantage de droits pour le parlement européen, un « gouvernement économique » européen ainsi que des niveaux minimums pour les impôts et les questions sociales. De plus, il critique le fait que le « déploiement de forces militaires par l’Union européenne ne soit pas expressément lié à un contrôle parlementaire ».

Die Linke n’est pas le seul plaignant à élever des objections contre le Traité de Lisbonne. D’autres plaignants comprennent le politicien de droite Peter Gauweiler (Union chrétienne-sociale, CSU) et un groupe dirigé par Franz Ludwig Graf Stauffenberg (CSU), le fils de l’homme qui avait tenté d’assassiner Hitler. Ils sont aussi d’avis que le traité « n’est plus compatible avec les structures essentielles d’un Etat démocratique constitutionnel » (Stauffenberg). Même la Cour constitutionnelle fédérale admettait dans ses auditions initiales que les plaignants pourraient avoir gain de cause en faisant appel.

Lafontaine qui était le président de 1995 à 1999 du Parti social-démocrate pro-UE a des liens étroits avec la France. En 2005, lorsque la constitution européenne fut rejetée par deux nations communautaires, en dépit du soutien reçu par les principaux partis politiques européens, Lafontaine fut la seule personnalité politique allemande influente à avoir participé aux réunions appelant à voter contre la constitution.

L’Union européenne est également fortement impopulaire dans beaucoup d’autres pays. Partout où la population a eu l’occasion d’exprimer son opinion, elle a rejeté la constitution européenne et le Traité de Lisbonne. Les interventions militaires européennes en Afghanistan et ailleurs rencontrent une opposition tout aussi farouche de la part de l’opinion publique. Die Linke veut créer une soupape de sécurité pour ce mécontentement tout en maintenant l’Union européenne. Le parti redoute, tout comme la bureaucratie syndicale, qu’il sera plus difficile de contenir et de canaliser l’opposition publique lorsque les pouvoirs quasi dictatoriaux de l’UE seront renforcés avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.

Kaufmann et Brie ont compliqué la situation pour Die Linke en soutenant ouvertement le Traité de Lisbonne. Ils jouissent d’un soutien substantiel au sein du parti. Ils ont tous les deux bénéficié d’un soutien considérable de la part des délégués quand ils s’étaient portés candidats et ce en dépit de toute recommandation de la direction du parti. Tous deux ne peuvent compter que sur le soutien des fédérations de l’ancien Parti du socialisme démocratique (PDS, le prédécesseur de Die Linke) qui sont actives dans les municipalités en Allemagne de l’Est et qui reçoivent des subventions de Bruxelles.

Kaufmann avait rejoint en 1976 le SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne, SED, le parti stalinien unique de l’ancienne Allemagne de l’Est et prédécesseur du PDS) ; elle fut l’une des candidates tête de liste du PDS lors des élections européennes en 1994, 1999 et en 2004. Elle avait personnellement participé à l’élaboration du Traité de Lisbonne (recevant la Croix fédérale du mérite pour services rendus) et avait voté pour le traité au parlement européen.

Brie fait partie du SED depuis 1970 et fut un membre dirigeant du PDS, beaucoup le considèrent comme l’un des « idéologues en chefs » du parti. Il a occupé un bon nombre de postes dans le parti notamment en tant que directeur de campagne électorale, de membre de la commission des principes fondateurs du parti et de vice-président. Tout comme Kaufmann, il siège au parlement européen depuis 1999 et plus récemment comme membre du Comité de la sécurité et de la défense des droits de l’homme. Contrairement à la ligne du parti, il soutient également l’actuel déploiement des troupes allemandes en Afghanistan.

Ces deux soi-disant « politiciens réalistes » (Realpolitiker) ont tiré la seule conclusion logique du soutien de Die Linke de l’Union européenne : si l’on soutient l’UE en principe, alors l’on doit s’engager pour la poursuite de ses objectifs au sein de ses comités. Kaufmann et Brie ont précisément fait cela au cours de ces dernières années.

Lors du congrès du parti, le président Bisky a expressément remercié Kaufmann pour son « engagement » au parlement européen. Le Traité de Lisbonne, selon Bisky, représente aussi un pas en avant. Il « a élargi les droits du parlement européen et des parlements nationaux, il a introduit un autre mode de vote au Conseil, et il a ancré l’engagement de la charte des droits fondamentaux de l’UE ainsi que les premiers pas de la démocratie participative ». Ceci est bien loin de toute opposition fondamentale aux traités de l’UE.
Compte tenu du vaste soutien dont bénéficient Kaufmann et Brie en Allemagne de l’Est, Lafontaine a exigé des membres du parti qu’ils respectent le système proportionnel entre les candidats de l’Est et de l’Ouest du pays.

« Les listes ont un sens parce qu’elles contribuent à nous souder ensemble », a expliqué Lafontaine avant le vote. « C’est pourquoi nous avons essayé de réaliser un équilibre entre l’Est et l’Ouest entre femmes et hommes. Ce ne serait pas bien si des candidats supplémentaires de l’Est venaient à exclure de la liste des candidats de l’Ouest. Evitez s’il vous plaît ceci, il n’est question que d’Est contre Est ou Ouest contre Ouest, rien d’autre. »

Jusque-là, le SPD a justifié son refus d’envisager une coalition au niveau fédéral avec Die Linke sur la base de la politique étrangère de ce dernier et de son refus des missions internationales de l’armée allemande. Le niveau relativement élevé de soutien pour Kaufmann et Brie prouve que si l’occasion se présentait pour Die Linke d’entrer au gouvernement, il se rallierait rapidement à la ligne pro-UE du gouvernement et de l’establishment allemands.

L’opposition du parti au militarisme n’est qu’une autre carte entre les mains de sa direction et qu’elle pourra jouer lors de futures négociations de coalition. Ceci apparaît avec évidence même aux commentateurs conservateurs. Samedi dernier, l’édition on-line du journal FAZ écrivait : « L’exigence de retrait des troupes allemandes d’Afghanistan reste une position centrale de Die Linke, du moins jusqu’aux élections fédérales en septembre. »

(Article original paru le 5 mars 2009)

Il faut sortir du dilemme et rompre avec cette tradition fatale de compromis pourris ! Oskar Lafontaine

Mesdames, Messieurs, chers camarades !

C’est avec plaisir que je suis venu à Paris pour vous adresser la parole, alors que vous vous apprêtez à reconstruire en France un nouveau parti de gauche qui méritera vraiment ce nom. En Allemagne, nous venons de faire ce pas avec succès. Et c’est fort de cette expérience que je suis venu ici pour vous encourager à prendre le même chemin. Je sais bien que la constellation des partis politiques allemands n’est pas comparable à la situation française. Mais aujourd’hui, les sociétés françaises et allemandes ne diffèrent pas fondamentalement l’une de l’autre. Les problèmes économiques, politiques et sociaux qui se posent pour nos deux pays sont largement identiques. Je ne vois donc pas de raison majeure, pourquoi un nouveau parti de gauche n’aurait pas les mêmes chances de succès en France qu’en Allemagne. Maintenant, que le parti Die LINKE existe depuis un an et demi, les sondages sérieux lui donnent 12 à 13 % au niveau national. Je dois vous avouer que je suis surpris moi-même de ce succès. Car ces chiffres ne mesurent pas la véritable ampleur de notre influence politique. A lui seul, le fait que nous soyons là, le fait qu’il existe en Allemagne un parti avec un profil politique et des revendications sociales nettement de gauche, à lui seul ce fait a changé l’orientation de la politique allemande. Et il n’y a pas que moi qui le dise. Presque tous les journaux allemands, qu’ils soient de droite ou de gauche, qu’ils s’en réjouissent ou le déplorent, sont du même avis. La plupart d’entre eux sont d’accord pour écrire que c’est nous, le parti « DIE LINKE », qui sommes le projet politique le plus couronné de succès des dernières décades, que c’est nous qui au fond définissons de plus en plus l’agenda politique en Allemagne, que c’est nous qui poussons les autres partis à réagir. S’ils réagissent, s’ils reprennent à leur compte certaines de nos revendications sociales, c’est par crainte des électeurs. Et si le néolibéralisme, si virulent depuis 1990, est en train de s’effacer en Allemagne, c’est dû en bonne partie à notre présence parlementaire. Chers camarades, il est évident que la construction d’un nouveau parti de gauche n’aurait pas pu réussir si les conditions extérieures, c’est à dire la situation sociale et politique de l’Allemagne, n’avaient pas été favorables au projet. C’est donc là le premier critère de succès. Alors que tous les partis politiques ouest-allemands si disputaient le « centre et préconisaient une politique économique néolibérale, la majorité de la population allemande déplorait le manque d’équilibre social résultant de cette politique. Le vide sur la gauche du spectre politique ne demandait qu’à être rempli. Car rien n’est plus efficace qu’une idée qui trouve son époque.

Le deuxième critère de succès est sans doute l’union des forces et des organisations politiques qui se définissent par une position critique à l’égard du capitalisme. Le troisième critère - qui est peut-être le plus facile à réaliser, puisqu’il ne dépend que de nous seuls, mais ce n’est pas le moins important - c’est de donner au nouveau parti un profil clair, nettement discernable par rapport à l’uniformité des autres. Je ne manquerais pas de préciser ce troisième point par la suite, mais je voudrais l’aborder par un aperçu historique. Il est utile parfois de reculer d’un pas pour avoir une meilleure vue d’ensemble. Au début de ma carrière politique, il y a une quarantaine d’années, les positions des partis de gauche en Europe étaient encore relativement claires, leurs missions bien définies. Il n’y avait pas encore cette uniformité centriste que les grands partis affichent de nos jours. Même en Allemagne, ou le parti social-démocrate, à Bad-Godesberg, avait décidé de s’arranger avec le capitalisme, gauche et droite restaient discernables pour les électeurs. Le SPD s’était détaché du marxisme, certes, mais avait conservé tout de même l’idée de réformer le capitalisme, de chercher la fameuse « troisième voie » entre communisme et capitalisme. Malheureusement, cet idéal réformateur a été enterré sous les débris du mur de Berlin. En France, les positions des partis de gauche étaient plus nettes encore - non pas seulement du côté communiste, mais aussi du côté socialiste. Par son soutien à la guerre coloniale en Algérie, la SFIO avait perdu à la fin des années 60 toute légitimité comme parti de gauche. En 1971, au congrès d’Epinay, un nouveau parti socialiste se forme sous la direction de François Mitterrand. Le programme de ce nouveau parti socialiste français diffère considérablement de celui que les sociaux-démocrates allemands s’étaient donnés une bonne décade auparavant : il est anticapitaliste, il est critique à l’égard de l’OTAN et il est favorable aux alliances avec le parti communiste - tout ce que le programme du SPD n’est pas. C’était donc Epinay contre Godesberg au sein de l’Internationale Socialiste. Je suis allemand, mais je ne vous cache pas, que mes sympathies étaient du côté d’Epinay. Je partage donc, chers camarades, vos déceptions. Car malgré ce programme théoriquement anticapitaliste, la politique pratique du gouvernement Mitterrand ne fut guère plus anticapitaliste que celle du gouvernement social-démocrate en Allemagne. Que ce soit en Angleterre, en Allemagne, en Espagne, .en France ou ailleurs , l’écart entre la théorie et la pratique politique est symptomatique pour l’histoire du socialisme ouest-européen. Presque toujours et presque partout, les dirigeants des partis socialistes ont lâché comme un lest leurs principes - souvent contre la volonté de la masse des militants - pour un portefeuille de gouvernement. Et c’est bien là le grand dilemme des partis socialistes : c’est de formuler, pour ainsi dire, les principes d’opposition à Epinay et les principes de gouvernement à Godesberg. L’histoire des partis socialistes ouest-européens au pouvoir est une longue énumération de compromis pourris. Chers camarades, il faut sortir du dilemme et rompre avec cette tradition fatale de compromis pourris ! Pour un parti de gauche, les principes de gouvernement doivent toujours être les mêmes que les principes d’opposition. Si non, il disparaitra plus vite qu’il n’est venu. Regardez vers l’Italie, regardez vers l’Espagne. La leçon, que la gauche peut tirer des dernières élections dans ces deux pays ne peut pas être plus claire : la lzquierda Unida marginalisée, la Rifondazione Comunista éliminée. Ces deux partis ont dû payer si cher leur participation au gouvernement parce qu’elle reposait sur des compromis pourris. C’est une absurdité, en effet, de quitter un parti à cause de sa ligne politique, de construire un nouveau parti, de former ensuite une coalition gouvernementale avec le parti qu’on vient de quitter sur la base de la politique même, pour laquelle on l’a quitté. Les électeurs n’apprécient guère ce genre de blagues - et ils n’ont pas tort. Chers amis, si la gauche perd sa crédibilité, elle perd sa raison d’être. C’est pour cela que mon parti - die LINKE - a pris des mesures pour entraver cette tendance fatale des dirigeants au compromis politique dont j’ai parlé. Les décisions sur les grands principes de notre programme doivent être prises par l’ensemble des militants du parti et non seulement par une assemblée de délégués. En outre, nous n’acceptons pas les dons qui dépassent une certaine somme, une somme relativement basse. Et croyez-moi, ce n’est pas l’attitude du renard qui voit que les raisins sont hors de sa portée qui est à l’origine de cette restriction. C’est tout simplement que nous ne voulons pas être corrompus. La corruption politique est un fléau de notre époque. Et ce qu’on appelle don n’est souvent qu’une façon légale de corrompre. La victoire électorale de Barack Obama est une bonne nouvelle, tant la politique du président Bush et de son parti était insupportable. Mais vu les sommes énormes que le capital américain a investi dans la campagne électorale du nouveau président, je reste très sceptique quant à son futur élan de réformateur. Le capital ne donne jamais sans prendre. Venons en donc au profil programmatique qu’un parti de gauche doit avoir à mon avis. J’ai dit tout à l’heure que mes sympathies, il y a presque quarante ans, avaient été du côté d’Epinay et non de Godesberg. Eh bien, elles le sont toujours. Elles le sont peut-être plus que jamais. L’esprit anticapitaliste qui a animé la gauche française dans les années 70 s’impose toujours. Certes, une opinion publique manipulée au service du capital nous suggère à travers tous les médias que la mondialisation aurait complètement changé les choses, que l’anticapitalisme serait dépassé par l’histoire. Mais si on analyse le processus économique et social qui se déroule sous nos yeux sans parti pris, on se rend compte que la mondialisation n’a pas dissipé, mais aggravé les problèmes sociaux et les turbulences économiques causés par le capitalisme. Si vous comparez les écrits de Karl Marx au sujet de la concentration du capital, de l’impérialisme ou de l’internationalisation du capital financier avec les sottises néolibérales propagées de nos jours, vous constaterez que cet auteur du 19e siècle est bien plus actuel et clairvoyant que les idéologues du néolibéralisme à la mode. Chers amis, plus que jamais l’anticapitalisme est de mise, car l’impérialisme, au début du 21ième siècle, est toujours réel. Et l’OTAN est instrumentalisée à son service. Jadis conçue comme alliance de défense, l’OTAN est devenue de nos jours une alliance d’intervention sous la direction des Etats-Unis. Mais la gauche ne peut pas préconiser une politique étrangère ayant pour but la conquête militaire des ressources et des marchés. Nous n’acceptons pas l’impérialisme belligérant de l’OTAN, qui intervient partout dans le monde en enfreignant le droit international. Nous sommes pour un système de sécurité collectif où les partenaires se soutiennent réciproquement lorsqu’ils sont attaqués, mais s’abstiennent de toute violence qui ne soit pas conforme au droit international. En Allemagne, la question d’une intervention militaire - que ce fut au Kosovo ou que ce soit en Afghanistan - est une ligne de démarcation nette entre mon parti - die LINKE - et tous les autres partis, y compris le parti social-démocrate. Nous sommes intransigeants à ce sujet et notre participation à un gouvernement favorable aux interventions militaires de l’OTAN est inconcevable. La question de guerre ou de paix a d’ailleurs été de tout temps une raison de schisme au sein du socialisme allemand. Déjà en 1916 - sous l’impulsion de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht – la guerre a divisé la social-démocratie allemande en deux partis. Et il n’y a pas qu’en Allemagne que la gauche a vu clair. Je vous rappelle les paroles de Jean Jaurès, que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». Camarades, si nous voulons un monde où règne la paix, il nous faut civiliser le capitalisme. Contre l’idéologie de privatisation prêchée par les porte-paroles du néolibéralisme, nous sauvegardons l’idée d’une économie publique sous contrôle démocratique. Nous préconisons une économie mixte où les entreprises privées, de loin la majorité, côtoient les entreprises nationalisées. Surtout les entreprises qui relèvent des besoins fondamentaux pour l’existence de la société - le secteur de l’énergie par exemple ou même le secteur bancaire dans la mesure où il est indispensable pour le fonctionnement de toute l’économie - doivent être nationalisées. Nous remettons à l’ordre du jour la question de l’autogestion ouvrière et de la participation des employés au capital de leur entreprise qui semble de nos jours oubliée. Nous luttons contre une politique de démontage social qui donne priorité aux intérêts des investisseurs et qui se moque de l’injustice sociale croissante, de la pauvreté de beaucoup d’enfants, des bas salaires, du licenciement dans les services publics, de la destruction de l’éco¬système. Nous luttons contre une politique qui sacrifie au rendement du capital financier ce qu’il reste d’une opinion publique délibérative. Nous n’acceptons pas la privatisation des systèmes de prévoyance sociale, ni la privatisation des services de transport public. Nous n’acceptons pas non plus la privatisation du secteur de l’énergie et encore moins la privatisation du secteur public de l’éducation ou de la culture. Notre politique fiscale veut redonner à l’état les moyens de remplir ses fonctions classiques. Aujourd’hui, les forces motrices du capitalisme ne sont plus les entrepreneurs, mais les investisseurs financiers. C’est le capital financier qui gouverne le monde et qui instaure globalement une économie de casino de jeux. La crise des marchés financiers était donc prévisible, attendue par les experts. Pourtant les gouvernements n’ont rien fait pour empêcher cette crise. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les élites politiques ont jugé utile la spéculation effrénée. Et le continent européen s’est incliné devant ce jugement. Même pendant les phases, où la majorité des gouvernements européens était formée par des partis affiliés à l’Internationale Socialiste, aucune mesure n’a été prise. La perte de la dimension critique à l’égard du capitalisme a fait échouer lamentablement la politique opportuniste des partis socialistes et sociaux-démocrates sur toute la ligne. S’il fallait une preuve de cet échec, la crise actuelle des marchés financiers nous la livre. Et s’il fallait une preuve, que nous, la gauche critique, ne sommes pas régressifs, que nous ne puisons pas dans le passé les remèdes contre les maux d’aujourd’hui, comme nous le reprochent constamment les libéraux et les conservateurs, s’il fallait une preuve, eh bien cette crise nous la livre aussi. Depuis le début des années 90 et la mondialisation qui s’en suit, la gauche, y compris moi-même, ne cesse de réclamer la règlementation des marchés financiers internationaux. Mais l’opinion publique néolibérale s’est moquée de nos opinions soi-disant régressives. Que la logique de la mondialisation n’était pas compatible avec une réglementation, nous a-t-on dit ; qu’il ne fallait surtout pas entraver le libre-échange et le libre flux transnational des capitaux, nous a-t-on prêché ; que toute réglementation était une solution surannée, régressive. Et maintenant, que font les néolibéraux en Amérique du Nord et en Angleterre, que font les conservateurs en Allemagne et en France ? Eh bien - ils prétendent règlementer. Ceux qui nous ont accusé de régression politique quand nous demandions la nationalisation de certains secteurs bancaires afin d’éviter la crise, que font-ils maintenant ? Eh bien - ils font semblant de nationaliser les banques au nom de l’avenir. Maintenant, on socialise les pertes et on fait payer les groupes les plus vulnérables de la société pour la défaillance du système. Maintenant, on organise de pompeux sommets internationaux pour règlementer les marchés financiers. Mais nous n’en sommes pas dupes : les éléphants vont accoucher d’une souris. Vont-ils fermer le casino ? N’y pensez pas ! Vont-ils seulement changer radicalement les règles de jeu à l’intérieur du casino ? Mais non ! Ce qu’ils vont faire, c’est d’élaborer avec grand fracas verbal un nouveau code de comportement pour les croupiers. Rien ne va vraiment changer. Si vous voulez des changements, camarades, il faut reconstruire la gauche - en Allemagne, en France, partout en Europe. L’expérience allemande nous montre qu’une gauche européenne réorganisée et forte peut faire bouger les choses en forçant les autres partis à réagir. Construisons ensemble cette nouvelle gauche, une gauche qui se refuse aux compromis pourris ! Pour souligner une dernière fois l’importance de cette maxime, je termine avec une image empruntée au poète russe Maïakovski : chantons ensemble notre chanson, mais évitons de lui marcher sur la gorge.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • Se connecter
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Portail

Sites utiles :

A l'encontre

Revue Prométhée

Netoyens

Marx au XXI siècle