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Élargir la discussion, multiplier les échanges, refuser le repli, ML 08/01/22 - Pour le projet de lettre, CJ 13/01/22

samedi 8 janvier 2022, par Club Politique Bastille

« Il faut employer l’actuelle période d’accalmie apparente pour réfléchir à la révolution que vous avons vécue, pour élucider le caractère des partis qui s’affrontent, les rapports sociaux qui déterminent l’existence et la lettre de ces partis. »
Karl Marx, 1849

Élargir la discussion, multiplier les échanges, refuser le repli.

A la fin des années 80, après la chute du mur de Berlin, pendant la submersion néolibérale, la gestion par la gauche des réformes thatchériennes, l’avenir s’obscurcit pour nombre de militants d’organisations ensablées dans leurs mantras. La vie fit le reste et la dispersion s’opéra.
Mais quelques années plus tard, du fond de la lutte de classe l’espoir renait. L’isolement politique est vécu comme une souffrance avec le ressenti d’une impuissance. Fallait-il revenir dans les organisations défraichies, en créer de nouvelles, se soutenir dans les syndicats ? Les questions s’ouvraient, il fallait donc y réfléchir. L’idée de se réunir autour d’une revue fit lentement son chemin.
Naitra ainsi « Carré Rouge » revue fondée par d’anciens trotskistes, lambertistes diront certains. Mais très vite le pedigree des créateurs céda la place à la réflexion active, à l’engagement. La discussion était libre , largement ouverte, mais sans doute avions-nous sous-estimé qu’une revue génère une ligne éditoriale voire une ligne politique.

Les salariés bousculaient l’ordonnancement des plans libéraux, les salariés du public entraient en lutte contre les réformes Juppé appuyés par la masse des travailleurs. La grève de 1995 sera un tournant dans la manière de faire de la politique.
De nombreuses réunions, de nombreux invités, ont mis à l’ordre du jour la question primordiale de l’« auto organisation ». Auto organisation dans les luttes mais au-delà aussi. De nouveaux syndicats apparurent, de nouvelles luttes spécifiques aussi (chômeurs, sans-papiers…).
Tout le travail de recherches et d’expérimentations sur l’auto organisation fit rejaillir un point que l’on croyait résolu, le stalinisme. Au-delà de sa forme originelle, il avait infesté largement le champ politique. L’émancipation, la forme démocratique des regroupements ne sont pas que volonté, ce sont aussi des travaux théoriques.
« Carré rouge » avança de manière importante sur ces deux points réellement politiques : l’auto organisation, la démocratie d’une part et sur l’enkystement du stalinisme dans les formes d’organisation et dans la pensée politique malgré ce que chacun proclamait après la disparition de l’URSS.
En 2005, les banlieues se révoltèrent, alimentées par le discours incendiaire du candidat Sarkozy et en réaction à la mort de deux jeunes poursuivis par la police. Le feu couvait depuis des années, la misère, le rejet hors de la société policée ne pouvaient perdurer. D’autant plus que beaucoup d’acteurs politiques, religieux ou simplement opportunistes voyaient le profit à tirer de cette situation.
Fort de notre conception de l’auto organisation, beaucoup de temps fut consacré à analyser cette période. Révolte spontanée qui cherche son expression, son « récit » . Cette analyse performative se heurta à l’épreuve des faits. Par excès d’optimisme on passa à côté de l’exploitation de cette révolte par les associations spécifiques ou religieuses qui isolaient le problème de la misère, de la relégation d’une partie de la population issue de l’immigration en un problème identitaire, religieux.
Les germes de la pensée identitaire étaient semés. Le 93 devint un champ d’expériences sociologiques, la lutte sociale s’affaiblit au profit de luttes identitaires et religieuses. Nous n’avons pas vu le basculement s’opérer sous nos yeux. Pourtant vingt ans plus tard, le champ politique en est toujours bouleversé.

Souvent un problème politique non traité, mal traité, cristallise aussi des tensions personnelles, allume polémiques et fantasmes. « Carré rouge » n’échappa pas à cette loi des groupuscules, un chef comme toujours voulant s’imposer . Sans doute, Carré Rouge avait-il servi directement ou non à des parcours personnels dans l’entrelacs des organisations et des partis. La frontière était par trop poreuse, « Carré rouge » n’y survivra pas. La vie fera le reste, une génération s’arrêtera là.

De Carré Rouge au Club Politique Bastille

Des rencontres, des regroupements conjoncturels, des discussions ouvrirent un nouvel horizon plus large.
En 2011, fut fondé le Club Politique Bastille.
Nous avions imaginé cette association démocratique collective avec la volonté que nul, consciemment ou inconsciemment, ne l’utilise à des fins personnelles. A l’évidence, nous y sommes parvenus.
Ce club naquit en pleine effervescence politique.
Les « Nuits debout » poursuivaient les réflexions sur les nouvelles formes de regroupements et de luttes. Le fonctionnement « horizontal » devenait la norme, de nouvelles luttes spécifiques faisaient surface comme celles des antispécistes, des véganes et de tous les dérivés de la mouvance LGBTQIA+. Ce bouillonnement intellectuel activa aussi la réflexion du Club qui, du fait de son absolue déconnexion de toute forme de pouvoir et de sa composition autrement plus diverse que Carré rouge, s’engagea dans une série de discussions riches et variées. Plus aucune crainte de la contradiction, la parole se libéra aussi chez ceux qui, pourtant, avaient été formés dans la « soumission révolutionnaire », le centralisme bureaucratique.
Très vite , les révolutions arabes, les mouvements divers du « printemps arabe » qui avaient commencé en Iran deux ans plus tôt furent le sujet de nombreuses réunions avec ,presque toujours, des militants directement concernés. L’analyse de ces mouvements de libération, d’émancipation fournit des arguments politiques à mettre en œuvre dans l’analyse plus générale de la période. Ainsi, le mouvement des « places », les mobilisations contre la City, Wall Street, contre les1%… procédaient de ce mouvement global de luttes émancipatrices. Il en fut de même dans la lutte courageuse à Hong Kong et dans le Hirak algérien.
Le suivi de ce mouvement passera ,hélas aussi, par l’analyse des trahisons et des défaites . La guerre civile syrienne qui suivit la répression par la dictature du soulèvement de la population en est un triste exemple. Mais nous avons continué à mettre le focus sur ce mouvement général et nous voyons aujourd’hui au Soudan que la volonté émancipatrice perdure au-delà des échecs, des répressions, des crimes de masse et des coups d’État.
Nous avons suivi l’évolution des mouvements politiques qui se voulaient l’expression de ces mouvements. Les mobilisations de masse, l’enthousiasme autour de mouvement comme Podemos masquaient mal les éléments mortifères d’adaptation au système parlementaire des régimes néolibéraux. Les théories populistes et post démocratiques de Laclau et aujourd’hui de Chantal Mouffe accélérèrent l’échec de ces mouvements y compris en France ceux, successifs, de Jean Luc Mélenchon. La figure du leader ne cadre plus avec un mouvement collectif, horizontal, fluide et réactif.
Certes, nous avons aussi noté comment dans ces mouvements et dans leurs suivis en Europe la religion, le néo féminisme , entretenaient des contradictions qui nuisaient au soutien des mouvements. Le relativisme culturel est toujours un barrage à l’émancipation. Quand, comme en Égypte, l’arrivée tardive des « frères musulmans » changea le caractère révolutionnaire de l’occupation de la place Tahrir il fallait le dire. Quand le mouvement des homosexuels en Tunisie est combattu dans le mouvement par les religieux il faut le dire. Quand les femmes manifestent, foulent aux pied les symboles du patriarcat on ne peut pas les ramener alors à leurs seules conditions d’Iraniennes, de Syriennes ou d’Égyptiennes. C’est faire injure à leur combat.
Reconstruire une pensée globale d’émancipation est une marque de respect pour ceux qui luttent contre toutes les formes d’oppression dans le monde.

Très vite en France, après une élection présidentielle plombante, les salariés encore organisés dans les services de l’État entrèrent en lutte frontale contre la « réforme » promise des retraites. Les discours sur « l’extension d’une grève qui doit nécessairement déboucher sur la grève générale » montrèrent combien les gauches syndicales et politiques avaient décrochées de la réalité du terrain. Ce sont les manifestations massives et répétitives qui étaient l’expression réelle du mouvement. Un « cortège de tête » de plus en plus important réduisit le cortège des syndicats officiels ,rejoints depuis longtemps par les syndicats « alternatifs »,à un défilé épuisé et anachronique. Les directions syndicales pourtant maintenant étayées ouvertement par les vieilles organisations « révolutionnaires » montraient toutes leurs faiblesses. Le carré de tête de la CGT fut même chargé par les CRS. Du jamais vu depuis le milieu du siècle dernier.
L’étude du « cortège de tête » nous renvoyait au besoin d’unité des travailleurs, d’unité à la base et à la nécessité d’expression directe, de réactivité politique. Bien sûr ,ce processus ne pouvait s’exprimer, à ce moment-là, que par la violence, violence contre les symboles du capitalisme, de l’État et en premier lieu les forces policières. Une violence surjouée faute de trouver le canal politique nouveau qui ouvrirait une perspective autre que l’affrontement immédiat. Le « Black bloc » méritait-il alors autant d’intérêt ?
La répétition amène l’usure. Les gouvernements, depuis 2007, forts de leur connaissance des forces syndicales et des diktats des puissances financières ne négocient plus. Mais ils adaptent leurs stratégies de maintien de l’ordre aux nouvelles formes de la contestation.
La situation était bloquée, quant à la suite d’une pétition sur Facebook une foule de « gilets jaunes » déboula dans la rue.
Rendre visible les invisibles.
Les gilets jaunes à revêtir en cas d’accident sortirent des coffres des automobiles. Immédiatement nous avons souligné le caractère émancipateur de ce déferlement alors que syndicats et groupes politiques fouillaient les entrailles de leurs programmes pour essayer de comprendre un mouvement dont ils ne connaissaient rien.
Nous avons décidé de tenir une chronique de ce mouvement pour ne rien manquer ni des espérances ni de la complexité des expressions (chronique à disposition sur demande au club).
Cette chronique aborde de façon immédiate l’ensemble des problèmes tactiques et théoriques qui se sont posés au mouvement, depuis la submersion des éléments antisémites et fascistes fort utiles à tous les contradicteurs de droite comme de gauche, en passant par le désarroi face à un État effrayé, à la limite de la rupture, jusqu’à la lente retombée alors que le pouvoir réoccupait le terrain médiatique et politique. Une volonté de structurer le mouvement dans des assemblées, voire par l’Assemblée des Assemblées, se heurta d’emblée à la réalité du mouvement.
Le mouvement de défense des retraites, le mouvement des gilets jaunes montrèrent la potentialité des mobilisations de masse et l’adaptation du pouvoir à les contenir par la violence policière mais aussi par la puissance des media, sa capacité de patience et sa connaissance des faibles possibilités d’organisation et de centralisation des mouvements.
Durant toute cette période, disons depuis les « Nuits debout » nous avons assisté à une transformation lexicale dans le champ politique.
Plusieurs réunions se sont penchées sur la signification, l’historique de nouveaux concepts (intersectionnalité,déconstructivisme,écoféminisme, validisme, nativisme…) sur l’origine des théories post et décoloniales, sur une nouvelle approche possible de la crise écologique. D’un coup, tous ces tremblements théoriques qui étaient contenus dans certains secteurs de la recherche et de l’université ont débordé sur le terrain politique. Il n’est pas très utile de discuter du parcours théorique de ces concepts, il est bien documenté pour ceux qui veulent s’y pencher. Mais en revanche il est intéressant de s’interroger sur la pulvérisation du sujet, sujet politique de la transformation sociale, en multiples entités théoriques, parfaitement légitimes par ailleurs. Cette accumulation de thèmes et de sujets accolés ensemble, parfois contradictoires, dans le fond comme dans la forme, existe depuis l’origine des rassemblements et forum antimondialistes puis altermondialistes mais cela restait périphérique à ce que nous nommions lutte de classe. La perte de centralité de la lutte masquée par des vocables comme anticapitaliste est bien réelle au point que le concept de « convergence » apparut omniprésent. La question est bien sûr qu’aucune convergence n’est jamais apparue en dehors d’un objectif qui puisse transcender toutes les luttes. Pour nous Révolution Sociale a toujours un sens, la pulvérisation des luttes et des concepts n’est pas condamner nécessairement à accompagner sur le mode « réformisme radical », le néolibéralisme dominant mondialement. Dans cette discussion, les échanges que nous avons eu à plusieurs reprises autour de la notion de « Commun » autour des travaux ,Dardot et Laval, s’avèrent très utile. A ne pas confondre bien sûr avec biens communs ou « déjà-là » du communisme. Il s’agit de l’approche de la lutte révolutionnaire contre le néolibéralisme.
Les questionnements se multiplient, les questions se diversifient, la surface d’un club n’est plus suffisante. De plus, la glaciation des organisations comme la nôtre causée par la crise sanitaire (autre sujet à aborder politiquement) n’a fait que rendre plus visible le problème. Des réunions internet ont permis une liaison avec la province mais ne permettent pas d’épuiser utilement une question.
Il nous faut réfléchir à trouver les armes qui puissent permettre d’aborder le problème actuel soulevé dès 1993 par Moshe Postone :

« Le problème central de nombreuses approches critiques nouvelles qui affirment l’hétérogénéité, c’est qu’elles cherchent à la poser de manière quasi métaphysique, en niant l’existence de ce qui ne peut être aboli qu’historiquement. De cette manière, ces positions qui sont censées rendre les hommes maîtres de leur destin aboutissent à les assujettir profondément dans la mesure où elles mettent entre parenthèses et rendent invisibles les dimensions centrales de la domination dans le monde moderne."

À propos de Spectres de Marx. L’État de la dette, le travail du deuil et la nouvelle Internationale de Jacques Derrida, Galilée, 1993

***

Retrouver le sujet

Pourquoi faudrait-il dépasser le cadre du club ? Repousser les frontières, dialoguer au-delà de l’horizon connu des chapelles de pensées ?
La réponse la plus simple à formuler c’est qu’il est à nouveau nécessaire de redéfinir le sujet de l’Histoire, les forces qui permettent d’envisager un monde qui échapperait à l’emprise néolibérale.
Simple à formuler, difficile à analyser tant le champ est complexe.
La société néolibérale a profondément bouleversé la structuration des classes sociales. Les « cathédrales ouvrières » du fordisme, les mines d’Europe occidentale ont disparues et avec elles, il faut bien le reconnaitre, une partie importante de la « conscience de classe ». Mais cela ne justifie pas que les classes ne soient plus que des concepts sociologiques, inventant par exemple la notion de transclasse l’assimilant à une identité sur le modèle des identités de genre. A contrario , le nombre des salariés a fortement augmenté et malgré les efforts des communicants leur grande majorité ne se voit pas comme des « collaborateurs ».

A développer et discuter…

Dépasser la pulvérisation du sujet.

Face à la pulvérisation du sujet comment construire un sujet qui ne soit pas l’addition des plaintes ?
Partir des dominations ? Les diverses déconstructions dans la lignée des approches philosophiques de la deuxième moitié du XX° siècle ont fait apparaitre de multiples facteurs de dominations. Dominations croisées, additionnées, intersectionnelles…. Bien sûr, les luttes multiples sont légitimes mais plutôt que de croire à une ou des convergences, à une fédération possible mieux vaudrait prendre le risque de dépasser les contradictions dans les luttes et les représentations ( racisés, privilège blanc, trans, lesbiennes…) et chercher ce qui peut unir d’emblée.
Sans doute faut-il repasser par un concept qui a disparu des discours « radicaux », un concept qui entre dans la structuration de la société capitaliste : l’exploitation, l’extorsion du surtravail, l’éloignement absolu du fruit du travail.
( nous devons absolument interroger ce concept de « radicalité », souvent utilisé contre celui de révolution),

A développer…

Revenir à l’analyse de la société en partant du procès de production permet de recentrer la recherche. Il n’est pas question d’évacuer les questions touchant à l’idéologie, à l’hégémonie idéologique et culturelle. Il s’agit de repasser par les causes profondes de l’aliénation.
Déjà dans le passé plus ou moins récent l’échec d’un affrontement frontal (disons classes contre classes) a abouti à la mise en première ligne des luttes et des structurations parcellaires (je ne dis pas moins importantes).
C’est le cas après 1968 avec le développement des luttes féministes (à noter que la loi Neuwirth sur la contraception date-pivot est de 1967), la formation de groupes de minorités sexuelles, le développement des secteurs éducatifs et grâce à la réforme Edgar Faure l’apparition d’universités autonomes aux programmes expérimentaux influencés par Berkeley.
Mais aussi, après les grandes grèves de 1995 ce sont des associations qui se sont développées (DAL, Chômage, Sans papiers…). Des maisons des associations ont été créées et la notion de « mouvement social » fut inventée et ceux-là même , qui se retrouvent à la tête des syndicats alternatifs aujourd’hui, poussèrent la notion d’autonomie du « mouvement social ».
Les luttes se multiplient, elles sont évidemment nécessaires mais elles ne trouvent plus d’utopie qui les sublime, de projet politique qui puisse les porter.
Nous pourrions poursuivre avec les grèves contre la réforme des retraites et celles contre la loi travail.
La question se pose différemment dans la période des « Gilets jaunes », période aujourd’hui achevée, en partie par les conditions imposées par la pandémie. Il faudra l’aborder sous l’angle de quelle société se dessinait alors.

La question du fascisme

La question qui se trouve posée est dans quel cadre ces luttes avancent-elles ? Inscrites dans un projet révolutionnaire elles sont révolutionnaires. Radicales ou non, sans utopie elles ne sont qu’un élément, un curseur dans la société néolibérale. Bien sûr, dans une société dictatoriale, fasciste, tout remise en cause de l’ordre moral ou de contestation de l’ordre existant prend un caractère insurrectionnel.
C’est pourquoi la question de savoir si nous sommes dans une société néolibérale avec un pouvoir centralisé, de contrôle ou dans une société fasciste prend une telle importance.
Les mots ont un sens et jouer avec n’a aucun effet sur le réel.
La répression policière – 2000 blessés, 3 morts lors des manifestations des Gilets Jaunes (!) – la multiplication des décrets et lois liberticides, les mesures de surveillances policières imposées en utilisant la pandémie, le climat ultra sécuritaire, la stigmatisation des réfugiés, des étrangers, conduisent certains militants à évoquer la « fascisation » de la société. Ce point de vue se renforce avec la candidature de Zemmour, ses discours ouvertement néo-pétainistes, racistes, antisémites.
Le néo-libéralisme au fil des ans a additionné la misère à la misère, la précarité à la précarité, le chômage au chômage, l’insécurité sociale à l’insécurité sociale. L’angoisse grandit, la désespérance gagne. C’est sur ce fumier que la pourriture politique prospère. Les tensions se multiplient, provoquent des émeutes. Il y en aura d’autres. Le musulman, voilà l’ennemi ! Notons que ces évènements font florès dans la plupart des pays européens et, pas seulement : la prise d’assaut du Capitole par les troupes de Trump en est une preuve spectaculaire. Malgré cette situation qu’il faut suivre, analyser – évidemment combattre – il faut insister : elle n’a encore rien à voir avec le fascisme. Bien sûr il est toujours possible de faire évoluer le concept mais alors l’analyse devient plus subjective.
Le fascisme c’est la destruction physique des organisations ouvrières, démocratiques, l’interdiction des partis, associations, syndicats, l’arrestation des militants, les assassinats, bien sûr la fin des libertés…
Nous sommes entrés dans l’époque de la barbarie. Naturellement, si les exploités, les opprimés ne brisent pas le néo-libéralisme, celui-ci nous brisera. Le fascisme est l’un des moyens d’y parvenir comme dans la période impérialiste…

A développer, à discuter…

La question de l’écologie

Pourquoi ne pas commencer, comme tous les penseurs de la chose politique, ce texte par l’écologie.
Les « négationnistes » et les réfutateurs des thèses du GIEC ne se retrouvent plus que dans la droite extrême . Alors pourquoi ne pas répéter ad nauseam l’arrivée prochaine de la Catastrophe ?
Pour plusieurs raisons.
Le rappel de la catastrophe prévisible a toujours un effet contradictoire passant du refoulement au désespoir, de la sidération religieuse face au millénarisme à l’impuissance devant l’énormité de la tâche . C’est-à-dire un blocage de la réflexion, une crispation de la pensée, la discussion de la primaire des Verts en était un bon exemple.
Certes, il y a les grandes mobilisations des jeunes mais elles restent bloquées au stade de la colère et de l’accusation morale.
Si tous les partis ont verdi leurs programmes, aucun n’a pourtant dévié de sa trajectoire initiale, de la gauche à la droite. Et à entendre la polémique sur les éoliennes, on comprend que le sujet est pour eux, avant tout, un enjeu électoral.
Il ne s’agit pas de minimiser le problème, bien au contraire. L’écologie n’est pas le décor du fond d’une pièce de théâtre qui s’appellerait « Lutte des classes ». C’est le sujet urgent et majeur de la pièce. Une myriade d’ associations et de partis se réclament de l’écologie (il existe même un parti communiste écologique féministe et antispéciste). De nouvelles théories sortent comme l’écosocialisme, d’autres ressortent des tiroirs fermés au siècle dernier avec une vigueur renouvelée comme l’écoféminisme . Mais il se trouve dans cet ensemble hétéroclite au moins une organisation (PEPS) qui avance clairement un point nouveau lié à la réalité du monde. Elle montre et démontre que notre planète est arrivée au moment du capitalocène, dépassant le consensus sur l’anthropocène.
C’est un socle de pensée sérieux mais qui a une conséquence politique et pratique. Pour sauver l’humanité et la planète il faut sortir du capitalisme. Et pour en sortir… Nous sommes bien dès le début de notre réflexion dans le cœur du sujet.
De « socialisme ou barbarie » à « socialisme ou écocide ». De fait la question est bien le changement du système de production comme du système politique. L’échec du socialisme social-démocrate et du communisme stalinien rend encore difficile la nomination de l’alternative. Mais le voile se déchire.

A développer et à discuter…

La démocratie et la Révolution.

L’histoire des révolutions 1789, 1830, 1848, 1871 c’est l’histoire du combat des masses pour la victoire de la démocratie, l’exercice plein des libertés. Au contraire, la bourgeoisie à partir du XIXe siècle, solidement installée, a impulsé contre-révolutions, lutte contre la démocratie. À la révocabilité des élus instauré par les Communards, va répondre les fusillades de Versailles…
La question démocratique depuis la Ière Internationale a été au centre de la théorie, de la pratique révolutionnaire. Le lien entre lutte révolutionnaire et combat pour les libertés est insécable. Avec l’Union sacrée, la social-démocratie a scellé la mort de la démocratie. La victoire de Staline impose l’ordre totalitaire.
En 1917, Rosa Luxembourg encore en prison apporte son soutien enthousiaste à la Révolution d’octobre, aux bolchevicks et insiste sur la nécessité absolue malgré l’ensauvagement des temps de garantir les libertés, à commencer par celle des opposants politiques, bref, de faire vivre la démocratie au plus fort des difficultés… Dans l’histoire de la révolution, elle a été la seule à s’exprimer avec cette clarté, dénonçant par anticipation, le parti unique, le centralisme bureautique, la fin des libertés. L’histoire lui a totalement donné raison.
Le stalinisme, la social-démocratie ont tué la démocratie, dans le champ de la lutte des classes comme au sein des organisations. Et les diverses IVe Internationales, partis maoïstes, organisations opéraïstes, rassemblements opportunistes de la fin du XX° siècle n’ont apporté aucune réponse satisfaisante à cette question déterminante. Inversement, les regroupements libertaires, néo syndicaux qui voulaient graver la démocratie dans le marbre de leur théorie en sont toujours et encore à écrire leurs statuts .
Dans la lutte politique comme au sein des organisations qui veulent y contribuer, l’ambition démocratique est toujours une nécessité.
Une démocratie en action, une démocratie en mouvement, une démocratie vectrice de révolutions.

Ce débat nous semble essentiel.

Appel à discuter et à se développer…

A discuter et à développer indiquent que nous sommes volontaires pour participer à toutes les réflexions qui traversent le champ politique.
Nous sommes profondément attachés à la démocratie dans la discussion mais aussi comme méthode de mobilisation politique. Mais nous avons des convictions fortes qui ne s’érodent pas dans l’air du temps.
Nous ne croyons ni à l’ « agentivité * » dans les luttes spécifiques ni à la « radicalité » lexicale pour changer le cours de l’existant néolibéral. Nous savons par expérience que l’inédit, l’événement ne surgit qu’au détour d’une course de fond. La conscience se forge, bien sûr, à partir des conditions matérielles d’existence mais aussi aux frottements dans les luttes et les débats. Les injonctions, les prédications, les affirmations péremptoires nous les laissons aux gardiens de chapelles et aux croyants de toutes les religions.
Même si l’adaptation du néolibéralisme aux crises écologiques, sanitaires, sociales et politiques est considérable, et le plus souvent pour son plus grand profit, cela ne doit en aucun cas être l’excuse du renoncement, du glissement vers la facilité et la confusion. Nous sommes toujours dans la recherche du dépassement révolutionnaire du système existant .
Nous laissons le confort intellectuel d’un club amical plus qu’ « éveillé** » pour proposer la discussion, la mise en commun de réflexions avec tous ceux qui pensent que l’échange démocratique est bénéfique et nécessaire au moment où le monde devient de plus en plus incertain, invivable pour une part de plus en plus grande de l’humanité.
Nous pensons aussi que la discussion politique doit s’adresser à tous. Nous avons conscience que la grande majorité des « gens de notre camp » regarde ,atterrés, les échanges politiques, les controverses et les imprécations actuelles.
L’urgence ne doit pas nous faire tomber dans l’impatience, la violence minoritaire ou l’anathème « radicalisé ».

Alors militants, groupes, regroupements, clubs et forum nous vous adressons juste cette invitation …à discuter, à développer dans le plus grand respect des règles démocratiques.
Et bien sûr, à construire si possible un commun utile pour agir ensemble.
C’est notre seule ambition.

*Capacité d’un être à agir sur les autres et le monde, considérée à l’aune de ses propres expériences et perceptions quant à celle-ci.
C’est-à-dire vulgairement le retour de l’action exemplaire.

**woke

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Pour le projet de lettre

Le projet écrit et proposé par Michel est ambitieux et ne répète pas les formules refroidies. Il interroge l’époque sur la plupart des questions fondamentales. Son travail recoupe l’actualité politique mais, heureusement, ne s’y limite pas. Nous avons besoin d’horizon, d’oxygène. La tendance à répondre au court terme, à courir à l’événement anesthésie, rabougrit. Il faut voir large.

Et d’abord, la question du pouvoir.
Où en sommes-nous des rapports entre les classes au lendemain des révolutions arabes ? Et quid après les mobilisations révolutionnaires des masses en Algérie, au Soudan, en Birmanie, bien sûr à Hong Kong. Sommes-nous à l’orée d’une nouvelle période historique ? D’une vague révolutionnaire qui débuterait contre les systèmes totalitaires du néo-libéralisme, ou au contraire, à la fin d’un cycle avec ces mobilisations réprimées, refoulées ? Ces combats ont-ils échoué, sont-ils marqués par la défaite ?

L’analyse proposée par Michel n’épuise pas ses interrogations mais provoque la réflexion, permet le débat. À la veille des élections présidentielles qui n’aideront d’aucune manière les exploités, il est nécessaire d’analyser le plus précisément la situation de la lutte des classes après le combat historique des Gilets Jaunes, la longue mobilisation contre le projet de réforme des retraites…

Oui, où en sommes-nous ?
Les mobilisations contre le néo-libéralisme se succèdent et même se multiplient mais l’édifice tient toujours : la lucidité est la marque de fabrique du texte. L’accalmie qu’évoquait Marx après la Révolution de 1848 doit plus que jamais être mis à profit pour analyser l’état des choses, des luttes, des partis. Et ce n’est pas simple.
Depuis la Libération, en Europe, en Chine, en Russie et bien sûr aux États-Unis, jamais la réaction n’a été aussi brutale : des pays sont dévastés par la guerre, des régions entières à l’abandon social alors que les cohortes de réfugiés prennent tous les risques pour trouver un refuge... On fuit la misère, les guerres, le totalitarisme et la crise climatique… Les temps sont assassins.

C’est cette réalité que Michel aborde, pour poser la question des questions : comment donner sens, direction aux mouvements spontanés sans un cadre politique organisé, une organisation – des organisations – pour aider à la victoire, c’est-à-dire au bout du bout, prendre le pouvoir. « Les programmes politiques, avait prévenu Trotsky, s’usent avec les générations qui les portent ». Nous vivons cette usure. En l’absence d’une nouvelle réponse, les militants, la plupart du temps, répètent des formules qui datent, qui n’ont tout simplement plus de sens. Et parfois, cette attitude rejoint les idéologues de l’émiettement social, des fractures politiques, anti-marxistes comme la Cancel culture.
Le parti, insistait Lénine, c’est le programme. Et celui-ci fait cruellement défaut. De même, le texte insiste sur l’importance historique prise par la question démocratique.
Bref. Je crois que Michel a vraiment respecté le « mandat » que le Club avait fixé : proposer aux groupes, militants – à qui en ressent comme nous la nécessité – le débat, la libre discussion sans esprit de boutique.

Il serait souhaitable que nous préparions l’adoption de ce texte en le discutant, l’amendant, lors de notre prochaine réunion.

* * *

Les éditions Syllepse viennent de publier une toute nouvelle version du « Staline » de Trotsky dont l’écriture a été interrompue par le pic à glace de l’assassin Mercader. C’est un travail formidable. Ce livre n’a pas pris une ride. Et souvent ses réflexions recoupent nos interrogations à commencer par le danger pour la Révolution du corps des « révolutionnaires professionnels »… Et encore, quand le fondateur de l’armée rouge revient sur le Xe congrès du Parti Bolchevick qui a interdit les fractions, dressant la dictature du parti unique contre les libertés politiques, la démocratie dans le parti, les soviets et la société toute entière.

Depuis très longtemps, je n’avais pas relu de livre écrit par le fondateur de la IVe Internationale. Quel bonheur de lecture ! Le « Staline » se dévore non seulement parce que c’est un vigoureux travail historique mais c’est également une réflexion actuelle sur stratégie et tactique en période révolutionnaire. Ce livre aide à réfléchir à l’époque que nous vivons. Sa lecture nous rappelle aussi que Léon Trotsky est un écrivain de premier ordre au style unique, inspiré.

Patrick Silberstein qui a dirigé pendant des années l’équipe qui a traduit le livre et a reconstruit son intégrité, vient de faire paraitre « La revanche du Chien Enragé » (*). Un petit livre qui revisite les discussions qui se sont menées, au fil du temps, à propos du stalinisme, de la définition de l’URSS comme un état ouvrier dégénéré dans le mouvement ouvrier essentiellement dans les rangs des organisations trotskystes. Ce travail rappelle les débats, les conflits, les scissions que le pronostic de Trotsky a provoqué après la guerre, dans les rangs de la IVe Internationale. Mais l’auteur ne se limite pas à ce talentueux examen historique. Il ne baisse pas la garde. Il s’interroge sur le combat actuel à mener pour la révolution mondiale en insistant notamment sur l’autogestion comme réponse à la bureaucratisation. Un livre bienvenu à lire sans hésiter.

CJ

13/01/22

(*) Chien enragé : c’était l’injure que le procureur stalinien Vichinsky jetait à la face des opposants inculpés qui allaient être fusillés

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