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Déclaration de la Coopérative Politique Ecologie Sociale Convergence des luttes ou Mai rampant Pour une unité populaire
mercredi 30 mai 2018, par
Déclaration de la Coopérative Politique Ecologie Sociale
Convergence des luttes ou Mai rampant
Pour une unité populaire
1. Le mouvement social actuel fait partie d’une séquence débutée en 2016 sous
François Hollande avec la loi El Khomry. De Nuit Debout aux cortèges de tête et aux
blocages, les nouvelles formes d’expression et de lutes ont commencé à se
généraliser au moment précis où la sociale démocratie se décomposait. Il n’y a pas
de mai 2018 mais un mouvement de longue durée qui peut se définir comme une
période de lutte de masse prolongée sans grève générale, au sens d’un mouvement
de toute la classe salariée au même moment avec les mêmes objectifs et pour une
durée plutôt limitée. Et pourtant le niveau de conflictualité y est très développé tant
au niveau développement de formes de lutte auto-organisées et de contre-pouvoirs
que des objectifs mis en avant. C’est pourquoi il est essentiel de combattre les
illusions qui altèrent l’analyse de ce mouvement et risquent dans une période de
reflux de démobiliser les équipes militantes qui en sont au cœur.
2. Ce mouvement a plusieurs caractéristiques : minoritaire, radical, autonome,
anticapitaliste.
Il est structurellement minoritaire même si dans certaines parties du salariat, il
représente la majorité des salariés comme à la SNCF ou Air France. Il est minoritaire
parce que dominé par l’hégémonie de deux idées réactionnaires développées par les
gouvernements de gauche et de droite depuis le début de la mondialisation.
La première consiste dans le TINA « il n’y a pas d’alternative ». La seconde c’est
l’idéologie de la réussite individuelle et le recul du collectif, la lutte de tous
contre tous pour s’en tirer, la loi de la jungle présentée comme le nouvel idéal.
Construire une majorité dans ces conditions quand il n’y a ni programme
commun, ni revendications unifiantes pour des classes populaires qui peuvent
parfois avoir des intérêts contradictoires implique que le mouvement reste
minoritaire. D’autant plus qu’il reflète la division profonde des classes
populaires entre fonctionnaires et salariés du privés, CDI et précaires, habitants
des zones rurales ou périurbaines et quartiers populaires. Il est minoritaire car il
diverge profondément sur les buts de guerre. Que faut-il gagner dans la période
actuelle : un retour au programme du CNR ?, une auto organisation des
précaires débouchant sur un revenu universel ou la défense du statut-quo ?, des
revendications transitoires écologistes ou une nouvelle croissance industrielle ?
Ce mouvement est autonome. Dans les secteurs en lutte, celles et ceux qui
luttent se regroupent et s’organisent sans hiérarchies, expérimentent de
nouvelles formes d’association qui parlent en leur propre nom. Ces
mouvements refusent les dirigeants, les partis et les programmes. Ils réunissent
simplement des individus révoltés et luttent contre toute récupération
politicienne. Cette nouvelle forme d’autoémancipation rappelle
l’associationisme des débuts du mouvement ouvrier au XIXème siècle. Ce
mouvement est radical car il utilise un répertoire d’actions qui vont du blocage
des universités à l’occupation sauvage comme celle du lycée Arago ou de zones
industrielles, de carrefours routiers ou de zone de plateformes de transport et
de logistique, de plateformes portuaires...Les luttes actuelles des travailleurs
précaires permettent d’expérimenter de nouvelles stratégies de combat qui
s’affranchissent de l’arbitrage de l’État.
Ce mouvement est anticapitaliste. Il ne se contente pas de lutter pour la
défense des acquis sociaux mais combat aussi la capacité de destruction du
modèle social par le gouvernement. Le niveau de conscience qu’il génère même
minoritaire est élevé. Sans rupture avec la domination, l’aliénation et
l’exploitation capitaliste et productiviste, rien ne changera. L’agonie de la sociale
démocratie en Europe et particulièrement en France montre que le seul choix
réel à moyen terme est entre la gestion ultra libérale et une politique de
transformation écologiste et sociale.
3. La grève générale est le premier mythe à déconstruire. Les mouvements sociaux
actuels reproduisent indéfiniment des archaïsmes qui sont des obstacles plutôt que
des moteurs. La fragmentation des classes populaires, la fin des grandes
concentrations ouvrières, les différenciations ethnico-sociales, l’affaiblissement des
liens sociaux et des organisations syndicales et associatives, explique cette absence
de projet commun et mêmes d’intérêts communs. L’idée de grève générale n’est pas
fausse en soi : elle part du constat qu’il vaut mieux frapper ensemble que lutter
séparément. A condition qu’elle se présente comme une exigence de généralisation
et d’extension à partir d’expériences concrètes dans des situations concrètes, et pas
comme une directive qui s’applique d’en haut, comme un « modèle » à appliquer de
manière rigide, sans tenir compte des caractéristiques de la situation. Mais elle est
devenue un leitmotiv, un nouveau fétichisme. Ce fétichisme pourrait entraver le
prolongement de l’actuel mouvement social en ce sens que tout arrêt du mouvement
devant l’obstination du gouvernement TINA apparaitrait comme une défaite sans
appel. L’invocation à « la grève générale », se réfère à un passé qui ne reviendra plus,
celui d’une classe ouvrière de l’ère industrielle qui par sa seule force d’inertie pouvait
en s’arrêtant en finir avec le pouvoir du capital. Quand cela s’est produit en 1936,
comme en 1968, les victoires ont été substantielles mais éphémères et n’ont pas
débouché sur la conquête du pouvoir. Mais dans les conditions présentes, le concept
de grève générale est un mot d’ordre passe-partout, qui indépendamment des
circonstances, interdit de penser la stratégie du mouvement en cours en le réduisant
à une seule option. Cette vision mécanique et étriquée de « la grève générale »
empêche d’envisager d’autres possibilités, plus adaptés à la situation présente. Elle
nous enferme dans un « tout ou rien » mortifère et à terme démobilisateur. Elle nous
enferme dans un passé incertain, et ne permet pas de penser un avenir fait de
possibles.
4. Pas de convergence des luttes sans convergence des buts. « Convergence : action de
tendre vers un même but ». Des droites parallèles convergent à l’infini. « Converger
ne signifie pas avoir le même but, ce n’est pas avoir quelque chose en commun, ni
partager quoique ce soit… Non, c’est tendre vers cela sans jamais y parvenir. On ne
peut converger que sur un projet, pas sur des refus différenciés. La convergence pour
la convergence des luttes est un mot d’ordre vide de sens ; autant la convergence des
buts est un objectif à atteindre : défendre les services publics, construire les
communs, refuser la criminalisation des mouvements sociaux, développer l’objection
de croissance. C’est pourquoi dans cette étape nous appelons à des convergences
solidaires autour des enjeux sociaux et environnementaux : la planification
écologique, la relocalisation de l’économie, le refus des projets climaticides, le
revenu d’existence… La vraie convergence des luttes est celle des luttes sociales et
environnementales. La question écologique est occultée par l’intensité de la
stratégie du choc social entreprise par Emmanuel Macron. Mais une même logique
de privatisation des biens communs est à l’œuvre en matière d’environnement. Le
capitalisme vert que défend Nicolas Hulot au nom de l’écologie de marché montre
ses limites et quand le Ministre de la transition écologiste et solidaire défend la
réforme de la SNCF, cède devant le lobby du glyphosate, autorise Total à exploiter
l’huile de palme, cautionne les violences policières contre les zadistes de Bure ou de
Notre- Dame-des-Landes, il est logique avec lui même. Mais la gravité de la crise
écologique impose de refonder les logiques économiques ; la notion de « biens
communs », sociaux et naturels, pourrait être le pivot de cette refondation ; mais les
écologistes doivent formuler et mettre en œuvre des alternatives positives, capables
de convaincre la masse des citoyens du caractère bénéfique de la sortie du
capitalisme. L’écologie sociale a un rôle particulier, celle de s’appuyer sur les luttes
les plus avancées, celle des ZAD, des facs et des travailleurs précaires pour mettre en
avant le contenu et les formes écologique et sociale du mouvement actuel. Si nous
ne croyons pas à l’abstraction de la convergence des luttes, des moments de
convergences vécus comme des moments de dépassement et de rassemblement
peuvent être créés pour construire cette convergence des buts. C’est pourquoi nous
avons besoin d’un nouveau récit. Si nous voulons organiser la contre-attaque, on ne
peut plus se contenter de se défendre contre telle ou telle loi en demandant leur
retrait. C’est juste mais c’est insuffisant de se battre contre la Loi ORE, la loi sur la
SNCF, la loi sur les migrants.S’il n’y a pas de débouchés aux luttes actuelles c’est
d’une part qu’il manque un mouvement politique puissant pour leur donner une
traduction en terme de représentation y compris institutionnelle. Cette absence
présente à terme un risque majeur, celui du dévoiement de la lutte des classes vers
des mouvements contre l’émancipation comme on le voit en Italie ou en Europe
centrale. Mais d’autre part nos luttes doivent avoir un caractère offensif et global
pour changer la société. Ce qui se joue dans nos luttes, c’est la volonté de changer le
mode de consommation, de production et d’échanges. SI nous devons converger,
c’est autour d’un même imaginaire collectif. Ce n’est pas encore le cas.
5. L’idée de recommencer Mai 68 qui traverse en partie le mouvement actuel est une
impasse. Elle ne permet pas de comprendre pourquoi le mouvement ne s‘élargit pas.
En mai 68, les étudiants étaient pour beaucoup les enfants de la bourgeoisie.
Aujourd’hui 50 % travaillent dans des petits boulots pour simplement survivre durant
leurs études. Ce qu’on retient le moins quand on parle de mai 68, ce sont les comités
d’action, les comités de grève ou de quartier qui sont les formes d’organisation qui
émergent spontanément dans le mouvement comme création sociale, sorties de
l’imagination collective. Ces organisations prennent l’initiative d’exister et de décider
pour elles-mêmes, allant jusqu’à inventer des formes langagières propres et
réellement radicales parce que s’enracinant dans un mouvement qui débouche sur la
grève générale. Mais ces organisations nées de la rupture avec l’ordre établi ne
réussiront pas à s’imposer comme nouveau pouvoir démocratiquement et
collectivement institué. Mai 68 a pu coaguler diverses forces et déboucher sur l’une
des deux grèves générales avec Juin 36 parce qu’il existait encore une classe ouvrière
industrielle concentrée dans de grandes entreprises et structurée par des
organisations puissantes (CGT, PCF). Le chômage était résiduel et les aspirations à
une rupture avec l’ordre ancien progressait dans toute la jeunesse. Rien de tel
aujourd’hui. C’est pourquoi la comparaison avec Mai 68 si elle est une source
d’inspiration ne peut être en aucun cas un modèle.
6. La crise du syndicalisme et du mouvement ouvrier s’amplifie parce qu’il se replie
sur une partie du salariat et sur des stratégies corporatistes. La stratégie des grèves
perlées de 2 jours définie par l’intersyndicale cheminote est une impasse. Les
directions syndicales sont à la fois divisées sur la stratégie, les formes d’action et ne
veulent pas être débordés par un mouvement d’auto émancipation. Les grèves
parlées à la SNCF présentées comme une tactique efficace redonnent la main à ces
directions en reprenant l’initiative aux AG de bases. De fait les AG dans ce
secteur ont été dévitalisées. Pourquoi se réunir puisque les décisions sont prises à
l’échelon national par les fédérations ? Si l’intersyndicale continue à être soutenue
du bout des lèvres par la CFDT et l’UNSA, c’est que ces deux confédérations
attendent pour sauter dans le wagon gouvernemental que la grève s’essouffle par
elle-même. Si le mouvement à la SNCF continue malgré ses insuffisances, c’est parce
qu’il exprime au delà de la mobilisation des salariés pour la défense du statut, la
volonté de défendre un modèle de civilisation, celui du service public. Les habitants
de ce pays voient bien que dans la santé, l’éducation, la culture, le processus de
privatisation s’accélère pour déboucher sur une société de marché. La question du
rail est une question écologique. Elle pose le problème du transport, de
l‘aménagement du territoire, de la justice climatique. Pourtant il n’y a pas
aujourd’hui de mouvement massif d’usagers en soutien à la grève du rail sur des
bases écologiques. La pétition lancée par Paul Ariès (pour un Plan B écologique et
social, planbecoloetsocialpourlasncf@gmail.com) sur cette base n’a pas eu de
traduction en termes d’actions concrètes en raison de la faiblesse du mouvement
social environnemental. La tâche des écologistes sociaux est de contribuer à cette
convergence en initiant aussi à l’intérieur du mouvement syndical la construction
d’un courant écosyndicaliste pour développer de véritables convergences anti
productivistes, alternatives et autogestionnaires. La commission Ecologie de
Solidaires, le courant Emancipation, certains syndicats CGT peuvent en être les
vecteurs. Mais au delà de la question écologique, le syndicalisme français est
confrontée à son histoire et notamment aux limites de la Charte d’Amiens votée en
1906 par le Congrès de la CGT. Sans même parler de l’étanchéité entre syndicalisme
et politique, l’indépendance syndicale revendiquée ne permet pas aux syndicats de
rassembler en leur sein ou de créer des dynamiques de l’ensemble du mouvement
social. Or avec un salariat fragmentée, avec le développement des nouveaux
mouvements sociaux, la lutte syndicale ne peut être réduite à la seule défense des
salariés. Elle doit s’élargir à celle des locataires, des femmes, de la jeunesse en
formation, des migrants, des discriminé-e-s, des LGBT. Un syndicat brésilien comme
la “Csb con lutas” regroupe les sans toits, les mouvements noir et LGBTI et les
mouvements sociaux en son sein, il montre qu’un syndicalisme intersectionnel,
décolonial et écologiste est possible.
7. La question de la violence revient au devant de la scène à travers les cortèges de
tête et les modes d’action des blacks blocs. Elle est pour le pouvoir un moyen de
criminaliser et de diviser la sécession sociale. Les écologistes sociaux, partisans de la
désobéissance civile n’ont pas une position morale face au recours à la violence.
Nous nous interrogeons simplement sur l’efficacité tactique de pratiques qui
devraient allier une guérilla symbolique à un élargissement continu du mouvement.
À toutes les époques il y a eu des confrontations dans les manifestations. Entre les
deux guerres, elles étaient même ponctuées par des morts d’hommes et de femmes.
Ce que nous vivons est aujourd’hui un ersatz de ces manifestations dans les cortèges
de tête qui expriment plutôt une radicalisation des manifestants qui de fait
cautionnent les affrontements. Ces cortèges de tête sont devenus massifs et même
comme durant la manifestation du 1 Mai, ils vont jusqu’à constituer les deux tiers du
cortège dit syndical parce que la capacité d’encadrement des organisations
traditionnelles s’est effondrée, que les manifestants n’en peuvent plus des
manifestations traîne-savate derrière des ballons et surtout que la colère qui
s’exprime à travers les cortèges de tête reflète la révolte sociale généralisée par
rapport à la marchandisation de la vie sous toutes ces formes. Ce sont des
“jacqueries urbaines” qui faute de pouvoir utiliser la grève comme moyen d’action
exprime la révolte des précaires comme les “jacqueries paysannes” qui reviennent
régulièrement au cœur des villes sont une des formes de luttes de la paysannerie
(destruction de préfectures, de stocks de nourriture dans les supermarchés …). C’est
pourquoi le débat interne au mouvement ne doit pas porter sur la question de la
légitimité de la violence mais sur le développement efficace d’une guérilla pacifique
multiforme fondée sur la désobéissance civile : blocages des facs, des lycées et de
l’économie, occupations sauvages, débaptisation de rues, hacking informatique des
entreprises concernées ou des services de l’état, organisation de circuits courts…
Nous devons construire indépendamment de l’Etat notre contre-société, nos bases
de résistance pour imposer un rapport de force favorable.
8. La stratégie du “Mai rampant” à la française est celle d’une guérilla sociale et
citoyenne durable. Le mouvement actuel s’apparente au Mai rampant italien qui
court sur la décennie 1968-78. L’enjeu du mouvement actuel, c’est l’émergence
d’une ère de libération humaines et écologiques dans une société fracturée par la
violence de la mondialisation libérale. D’un côté le précariat, de l’autre une classe
salariée encore intégrée qui cherche à défendre légitimement ses acquis. Le Mai
rampant, formule expliquant la période post 68 du mai Italien une expression faisant
référence au caractère progressif, voire sinueux de la mobilisation. Ce mouvement
social protéiforme, associant des mobilisations localisées et professionnelles fortes
avec des journées nationales de manifestations, des grèves et des manifestations,
des grèves ponctuelles et des grèves reconductibles, des va-et-vient entre les deux,
des paralysies partielles (SNCF, métro et transports collectifs urbains, raffineries et
dépôts pétroliers, routiers, etc.), des grèves tournantes ou la répétition de grèves
sporadiques limitant le coût de la grève sur les salariés, la constitution de caisses de
solidarité en direction des secteurs engagés de manière la plus durable dans la grève
reconductible, des liaisons inédites avec les milieux intellectuels et artistiques
critiques pour amplifier la délégitimation du pouvoir macroniste, la promotion de
passages entre combats revendicatifs et expériences alternatives (pourquoi des
AMAP n’approvisionneraient-elles pas gratuitement des grévistes ? pourquoi des
universités populaires ne se déplaceraient-elles pas sur les lieux de grève en mettant
à disposition des savoirs critiques ? pourquoi des artistes alternatifs ne seraient-ils
pas davantage présents dans les manifestations ? etc.), des actions moins massives
mais plus spectaculaires sur d’autres fronts où la légitimité macroniste résiste
davantage au sein de la population (racialisation, logique sécuritaire, etc.), etc. Les
caisses de grève sont un des moments forts de cette entraide. Reconstruire une
cohésion et un réseau d’action d’abord au plan local. Les luttes des cheminots
peuvent servir de point de départ unificateur L’objectif doit être de reconstruire une
cohésion et un réseau d’action d’abord au plan local, de trouver des modes d’action
complémentaires de l’indispensable arrêt de travail, qui bloque la production… Ici
encore, nous avons besoin de temps pour renforcer un pôle social et écologique de
combat. Ce temps paradoxalement, la volonté du macronisme de tout détruire nous
en donne. Macron estime qu’il peut en finir avec « le vieux monde » en un
quinquennat. Il est en train de coaliser contre lui un mouvement social de type
nouveau, à la fois résistant et créatif.
9. Dans cette stratégie de mai rampant, l’insubordination sociale se concentre autour
des ZAD, du mouvement dans les universités et des luttes des précaires comme
dans les MacDo ou les Deliveroo. Ces groupes sont engagés dans une guérilla sociale
contre l’ubérisation du travail, de la formation et les “Grands Projets Inutiles et
Imposés”. Ils défendent leurs intérêts de précaires et en même temps l’intérêt
général quand ils contestent la modernisation capitaliste de l’aménagement du
territoire. Ce mouvement ne doit pas se lire comme l’affrontement idéologique entre
des groupes minoritaires et l’Etat mais comme l’émergence d’une nouvelle
conscience de classe, celle des travailleurs précaires intellectuels et manuels. Ce
précariat est formé notamment par des étudiants salariés (au moins 50% des
étudiants travaillent pour financer leurs études), qui, à partir de leur condition,
forment une sorte de direction stratégique autonome du précariat. Ils inventent dans
les ZAD comme dans les occupations de fac des pratiques liées à leur vie
quotidienne : cantine et refus de la mal’bouffe, entraide, jardins, squats, lutte
contre la publicité et la marchandisation, partage des savoirs… Cette émergence
d‘une nouvelle conscience de classe s’affronte à un problème essentiel : les
discriminations ethnico-raciales. Si les lycées professionnels ou classiques de
banlieues n’entrent pas dans le combat massivement, si dans de nombreuses facs le
mouvement ne prend pas, c’est que ce mouvement apparaît comme un mouvement
déconnecté des préoccupations sociales de la jeunesse des quartiers populaires :
racisme, violence policières, discriminations sont des angles morts de la mobilisation
actuelle. C’est aussi parce que dans les quartiers périphériques, la faillite de l’état est
une réalité, et que la culture de l’individualisme y a désormais de solides racines.
De même pour le moment, même des formes de convergence avancées comme
celle de la « fête à Macron » laissent dans l’invisibilité ces questions essentielles.
Les luttes des quartiers populaires ou celles des migrants ne sont pas prises en
charge par le mouvement et ouvrent la voie à une montée du nationalisme et
de l’extrême droite comme en Allemagne ou en Italie. Or le débat autour du
plan Borloo a encore démontré que c’est dans les quartiers populaires où les
services publics sont en déshérence, que les taux de chômage sont les plus
élevés, que des millions de gens se sentent abandonnés. A quoi sert un
mouvement social s’il oublie celles et ceux pour qui il est censé se battre ?
10. « Stop Macron » ne peut être le seul mot d’ordre politique. Puisque la séquence de
lutte ouverte en 2016 n’est pas prête de se refermer, ce qui est en jeu n’est pas la
simple contestation du macronisme mais bien celui de la lutte contre le monde qu’il
représente. Si la question du pouvoir ne se pose pas, c’est que le macronisme n’est
que l’expression du capitalisme mondialisé et de la haute technocratie d’un Etat
nation devenu impuissant à réguler les ravages de la finance mondiale, transformé
aujourd’hui en agent facilitateur de la finance. La question n’est pas de faire
démissionner Macron mais de construire un levier politique pour impulser une
transition, c’est-à-dire un processus de « transformation au cours duquel un système
passe d’un régime d’équilibre à un autre » (Dictionnaire de la pensée écologique). La
transition entraîne une profonde mutation des modes d’action des acteurs et des
infrastructures qui organisent leurs relations. La transition écologique et sociale
repose sur la double prise de conscience de la finitude des ressources sur lesquelles
repose la croissance économique mondiale et de l’empreinte environnementale issue
de notre consommation énergétique. C’est pourquoi l’unité populaire en formation
doit en finir avec l’idée du grand soir. L’absence d’alternative politique à court terme
ne doit pas empêcher de développer un mouvement populaire par en bas, qui
remet en cause le droit de propriété par l’entraide et la coopération par la
construction d’un mouvement mature de contre-pouvoir et de contre-société
s’appuyant sur des institutions alternatives, des zones d’autonomie démocratiques,
des espaces de liberté, des coordinations de coopératives et d’entreprises
autogérées, des communs partagés à tous les niveaux. Des dizaines de milliers de
militants commencent à comprendre que c’est dans les territoires et non au niveau
des appareils et de leurs logos dévalués qu’émerge la force dont ils ont besoin pour
ouvrir le chemin d’une nouvelle espérance. Le 5 mai comme le 26 mai permettent
l’agrégation de forces politiques, syndicales, associatives dépassant les logiques
d’étanchéité à l’intérieur du mouvement social, de construire une convergence de
forces sociales, politiques, syndicales, associatives permettant de construire un cadre
susceptible de se développer dans chaque quartier, villes, villages, entreprises, lieux
de formations pour déboucher sur un mouvement d’unité populaire, fait de
mobilisations et de luttes, pouvant dépasser la fragmentation actuelle et permettre
tant dans les prochaines luttes sociales qu’au moment des municipales de 2020 de
construire une nouvelle étape de l’insoumission.
Le 25 mai 2018
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