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Compte rendu de la Commission Club Politique Bastille Debout

vendredi 15 avril 2016, par Club Politique Bastille

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Compte rendu de réunion du CPB du dimanche 10 avril

Convoqués rapidement, nous nous sommes réunis à une dizaine pour échanger nos réflexions, nos appréciations sur la situation politique et tout particulièrement sur ce mouvement inédit et printanier "nuit debout".

Tout d’abord un constat commun :
Le mouvement est très profond mais limité numériquement.
Une partie de la jeunesse est mobilisée, peu de salariés, ce n’est pas une lame de fond.

Un camarade pense qu’il y a une similitude avec Mai
68, Podemos, Occupy Wall Street...

D’autres au contraire disent que l’on ne peut comparer même s’il y a quelques traits communs.

Les manifestations de mars et avril sont très importantes, mais non massives ; il n’empêche que c’est un mouvement qui modifie totalement la situation.

Les partis institutionnels paniquent et surveillent ce mouvement comme le lait sur le feu.
Le gouvernement fait de même et tente de cajoler la jeunesse.

Pour reprendre l’expression d’un d’entre nous : "L’extrême gauche est tétanisée".
Mais on remarque qu’un certain nombre de ses militants ont une présence active à République.

Les médias, nouveaux chiens de garde laissent entrevoir leur inquiétude ; comme les experts en politologie, qui défilent sur les plateaux télé, anxieux et méprisants, ils expliquent que ce mouvement n’a pas d’avenir, qu’il s’agit d’une bande d’illuminés, sans leader et sans programme.

L’élément majeur qui se dégage, c’est la politisation d’une nouvelle génération qui au delà de la mobilisation contre la loi El Komeri, commence à discuter et à débattre de manière explicite et de façon la plus démocratique de comment combattre le néolibéralisme.

Notons que plus de soixante villes en France ont rejoint le mouvement mais aussi Berlin, Saragosse...
En Europe, c’est toujours Paris qui donne le ton.

C’est sur ces problèmes que doit porter la réflexion.
C’est sur ces problèmes qu’il nous faut travailler.
Michel doit nous proposer prochainement un texte qui lie ces problèmes à l’activité du club.

Le 30 mai, nous recevrons Besancenot et nous entreprendrons avec lui un débat de fond.
La situation est passionnante et surtout rafraîchissante, le débat continue et doit continuer entre nous par écrit.

Salut à tous.

J. et Ch.

12 avril 2016

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D’autres comptes rendus très intéressants

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Nuit Debout : Faire briller les pierres précieuses...

mardi 12 avril 2016, par GODARD Denis

Sommaire
1- Un mouvement qui ne (...)
2- Une riposte lancée hors (...)
3- Nuit Debout, c’est parti
3- Le rapport à la police
4- La question de l’extension
5- Le rapport au mouvement
6- L’avenir n’est pas écrit

Le mouvement d’occupation des places en France a aujourd’hui deux semaines. Son évolution est difficile à prévoir car ouverte à beaucoup d’imprévus même si ses racines sont profondes.

Rien n’indique ainsi, au moment où j’écris, si l’occupation emblématique de la place de la République à Paris va pouvoir réellement perdurer ni sous quelle forme.

C’est le propre des mouvements de contestation de l’ordre dominant de ne pas avoir de trajectoire linéaire. D’une part parce que leurs avancées même les confrontent à de nouveaux enjeux, de nouveaux objectifs, de nouvelles questions. Après 15 jours d’occupation le mouvement est ainsi confronté à des questions de stratégie sur son rapport à la répression, ses rapports aux mouvements de lutte, la nécessité de son extension...

D’autre part, parce que le premier effet de surprise passé, l’ordre dominant se réorganise. Ainsi le pouvoir cherche ouvertement à reprendre possession de la place de la République. Tous les partis dominants, du PS au FN, demandent désormais son évacuation par la police.

Mais l’imprévu est aussi le résultat de raisons beaucoup plus profondes ayant trait à la crise du pouvoir ainsi qu’à la nature de ce mouvement dont Nuit Debout est une des formes d’expression et qui se développe largement hors des cadres traditionnels.

1- Un mouvement qui ne vient pas de nulle part

Nuit Debout est la résultante de plusieurs dynamiques, une colère générale, le développement plus ou moins souterrain de différentes luttes, le surgissement d’une lutte générale contre une loi antisociale (la loi El Khomri du nom de la ministre du travail dite aussi « loi travail ») et l’initiative d’occuper la place de la République le soir du 31 mars prise hors des cadres traditionnels.

Comprendre cela n’est pas faire travail d’archiviste du mouvement. Cela permet d’anticiper la profondeur et la capacité de réaction du mouvement et donne des pistes sur son avenir.

La colère générale contre le système et le pouvoir s’exprime depuis des mois de différentes manières, désaffection vis-à-vis du gouvernement, désaffection vis-à-vis de tous les partis dominants. Cette colère n’est pas forcément progressiste quand elle s’exprime par le vote pour l’extrême-droite. Mais elle n’est pas univoque. Elle s’est aussi exprimée par la popularité des travailleurs d’Air France molestant le directeur des ressources humaines (en déchirant sa chemise) cet automne ou le succès d’une pétition de soutien aux syndicalistes de Goodyear condamnés à de la prison.

Et depuis un an les luttes se sont multipliées, locales et isolées, dans les lieux de travail, signe d’un retour de combativité après des années de recul depuis l’échec du dernier grand mouvement social en septembre 2010. C’est dans ces expériences que se reconstruisent progressivement combativité, confiance et besoin de mouvement global.

Puis, les derniers mois ont été marqués par des luttes spécifiques, mouvement de solidarité avec les migrantEs et résistance des lieux d’occupation contre les grands projets du pouvoir, notamment contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Il n’est pas indifférent de noter que les semaines précédant le début du mouvement contre la loi travail ont eu lieu deux manifestations marquantes. L’une, à Calais pour l’ouverture des frontières, a eu une résonance nationale sans être massive. L’autre à Notre-Dame-des-Landes a réuni plusieurs dizaines de milliers de manifestantEs en soutien, significativement, à l’occupation du terrain par des paysans et des activistes.
Il faut y ajouter, après la sidération créée par les attentats du 13 novembre, le début d’une riposte contre les mesures policières et liberticides prises par le gouvernement.

C’est dans ce contexte que le gouvernement a décidé d’attaquer encore plus durement les travailleurs avec une loi démantelant toujours plus le code du travail.

2- Une riposte lancée hors des cadres traditionnels

La riposte à cette loi s’est lancée hors des cadres traditionnels alors que les directions syndicales s’apprêtaient, encore, à reculer. Au départ de cette riposte une pétition exigeant le retrait total de la loi est lancée sur les réseaux sociaux qui obtient plus d’un million de signatures. Les organisations de jeunesse appellent alors, sur les mêmes bases (le retrait de la loi) à faire du 9 mars une journée de mobilisation générale. L’audience pour la riposte va obliger les organisations syndicales à s’y joindre et à appeler à une journée de grève nationale et de manifestations le jeudi 31 mars. Mais c’est dans la jeunesse, dans les lycées et les universités que le mouvement trouve son moteur, avec des journées régulières de manifestations et de blocages.

Le 23 février se tient à Paris une réunion de convergence des luttes autour d’un journal indépendant, mais associé à la gauche radicale (« Fakir »), d’économistes (notamment Frédéric Lordon) et d’intermittentEs du spectacle. Dans la même période un film « Merci Patron », soutenu par les mêmes, tourne dans de nombreux endroits, avec des débats organisés à l’issue de la projection, et remplit les salles. La réunion à Paris fait salle comble à la Bourse du travail (immeuble des syndicats au centre de Paris, près de la place de la République) qui doit même fermer ses portes devant l’affluence ! Suite à ce succès les initiateurs appellent à une réunion pour ceux et celles qui veulent passer aux travaux pratiques. Alors qu’une cinquantaine de personnes sont attendues c’est plus de 200 qui viennent. A cette réunion l’idée est lancée que le 31 mars, après la manifestation, « on ne rentre pas chez nous » ! Progressivement l’idée d’occuper une place à la fin de la manifestation se répand. Ce sera Nuit Debout et l’occupation de la place de la République.

3- Nuit Debout, c’est parti !

Plus d’un million de personnes manifestent le 31 mars dans toute la France. Malgré la pluie des centaines de manifestantEs viennent place de la République. Une association de défense des sans-abris, Droit au Logement, s’est jointe à l’appel et a décidé de rester sur la place plusieurs jours avec sa tente, au moins jusqu’à la manifestation qu’elle organise le samedi suivant. Et la mayonnaise prend après le jeudi avec de plus en plus de monde de jour en jour. Des assemblées se tiennent avec des milliers de personnes le samedi et le dimanche. Des commissions se mettent en place, des débats où la parole se libère. La place de la République fait la une des journaux.

Le dimanche, les initiateurs décident de n’appeler qu’à des temps forts d’occupation de la place le mardi et le samedi suivants qui sont des jours de manifestations. Les nuits sont en effet difficiles à tenir avec uniquement quelques dizaines d’irréductibles après la fin des transports en commun après 2H du matin. Ils considèrent que ce sera d’autant plus difficile en pleine semaine lorsque les gens vont au boulot.

Mais dès l’après-midi le lundi des centaines de personnes se réunissent à nouveau sur la place et plus d’un millier tient une assemblée le soir même. Une manifestation, décidée sur la place l’après-midi, part même de la place contre une conférence que tient le premier ministre Manuel Valls juste à côté. Des délégations arrivent en manifestation, réfugiéEs, intermittentEs et précaires...

La place tient. La mardi, à l’issue de la manifestation, des milliers participent à l’assemblée populaire. Désormais ce sera le cas chaque soir.

Et dès cette première semaine un saut qualitatif est franchi qui va s’amplifier la seconde. De multiples commissions s’organisent sur des thèmes et fronts (pour rédiger un manifeste, pour assurer la logistique, pour « organiser » la démocratie, pour mettre en place des actions, une infirmerie, une cuisine....). Progressivement vont se mettre en place une radio, une télé, un jardin (!). Chaque matin la police évacue la place. Chaque après-midi, avec une ingéniosité incroyable, un village renaît fait de tentes, de bâches, de palettes de bois et des milliers de personnes participent pendant des heures à une assemblée populaire. En parallèle se tiennent des réunions thématiques, des stands d’associations, de maisons d’édition et librairie alternatives. Les malentendants tiennent des assemblées en langage des signes, des universités populaires s’organisent à ciel ouvert, des activités pour les enfants, des ateliers d’affiches, des formations juridiques, etc.

Mais surtout, sur cette place, le mouvement commence à éviter une des impasses possibles, sa déconnexion avec le mouvement de lutte contre la loi travail. Il établit le lien avec le mouvement qui lui sert de carburant. Des contacts s’établissent avec les lieux de lutte, étudiantEs et lycéenNEs bien sûr mais aussi cheminots, postiers, etc. Des diffusions sont organisées, à partir de la place, vers les lieux de travail pour mobiliser pour la manifestation prévue le 9 avril contre la loi travail. S’ajoutent à cela de multiples actions organisées dans le cadre de la convergence des luttes et qui partent de la place, avec les intermittentEs du spectacle, en solidarité avec les réfugiéEs, pour repeindre la façade des banques ou occuper des sièges de la Société générale, avec les sans-abris, etc...

Cerise sur le gâteau, la pratique des manifestations sauvages se développe chaque soir, notamment la nuit, pour aller devant les commissariats sortir des manifestantEs arrêtéEs, après une action pour démanteler les grilles qui empêchent les réfugiéEs de s’installer dans certains endroits ou, plus simplement, pour aller prendre un « apéro chez Valls ». Alors que le pouvoir voulait interdire l’espace à la contestation avec la proclamation de l’état d’urgence, le mouvement le réoccupe et s’y habitue dans la jubilation.

Et le mouvement se propage avec l’organisation de Nuit debout et des tentatives d’occuper des places dans plusieurs autres villes notamment après la manifestation du 9 avril. A des niveaux divers, une soixantaine de villes sont concernées.

3- Le rapport à la police

Ces succès tout comme la répression qui s’accroit sur le mouvement (et aussi parfois la fatigue) amènent maintenant Nuit Debout à plusieurs questions immédiates pour son avenir, qui sont aussi des questions stratégiques, celle de l’extension, de son rapport au mouvement et celle du rapport à la police et à la violence.

Le pouvoir tente de plusieurs manières de mettre fin aux occupations de place et notamment à celle de la place de la République qui joue un rôle emblématique. Les attaques médiatiques se multiplient sur le thème : lieu de désordre et d’organisation de violences.

La police tente progressivement, chaque jour davantage, de reprendre le contrôle de la place. Les manifestations, en premier lieu celles de la jeunesse et les manifestations sauvages, sont de plus en plus violemment attaquées par la police.

Deux réponses sont données au sein du mouvement.

La première réponse, qu’il faut contester sur des bases de principe, appelle à la fin des violences et propose, sous différentes formes, de faire appel à la police pour nous rejoindre. Cette réponse risque de désarmer le mouvement face à la répression. Il ne faut pas oublier qu’aux dernières élections (régionales) le Front National a obtenu plus de 50% des voix au sein de la police et de l’armée, score qui atteint 70% chez les flics en activité. La police et l’armée sont au cœur du pouvoir et leur violence directe est l’expression pratique de la violence de la domination de la classe dirigeante. Sans stratégie de confrontation avec la police, le mouvement devra renoncer à ses acquis et en premier les places qu’il occupe.

Par ailleurs, propager l’idée qu’il pourrait y avoir une alliance possible avec la police deviendrait un obstacle à l’extension nécessaire du mouvement aux quartiers populaires, aux migrantEs, réfugiéEs et sans-papiers, aux syndicalistes radicaux, touTEs touchéEs directement et très concrètement par la violence policière.

La seconde réponse est celle de la confrontation directe avec la police. Celle-ci, venant de secteurs divers, souvent appelés « autonomes », prône l’affrontement systématique et violent avec la police et vise même à le provoquer. Preuve d’une radicalisation générale, notamment dans la jeunesse, elle entraîne de plus en plus de jeunes au sein même des manifestations et obtient un soutien, soit-il passif, de plus en plus large. Cette stratégie fait du cœur de l’Etat la cible essentielle et tend à nier toutes les médiations par lesquelles une majorité de la société est entraînée dans une confrontation générale avec la classe dirigeante et son Etat. Organiser une confrontation directe systématique avec la police, en tous lieux, peut conduire à marginaliser une minorité beaucoup plus facile à réprimer et intimider le reste du mouvement.

Mais, et c’est le propre du mouvement, les idées et stratégies qui y dominent sont très fluides. Une anecdote pour l’illustrer. Ce lundi, alors que l’assemblée populaire débattait notamment de ce genre de questions les CRS ont essayé d’empêcher une camionnette de la logistique d’entrer sur la place. Rapidement, plusieurs centaines se sont regroupés pour repousser les flics qui ont dû refluer au-delà de la place sous la pression du nombre et la détermination. Parmi ceux et celles qui gueulaient « Tout le monde déteste la police » et repoussaient les flics, certainEs plaidaient, quelques heures auparavant pour dire « la police avec nous » !

4- La question de l’extension

La deuxième question soulevée immédiatement n’est pas déconnectée de la première. Affaiblir les capacités de répression directe du mouvement passe par son extension, sa dissémination, aussi bien géographique que « sociale » et politique.

Extension géographique par la multiplication des lieux de Nuit Debout. Des événements Nuit Debout se lancent dans différentes villes. A la différence de la Place de la République l’initiative semble beaucoup plus venir cette fois de militantEs organiséEs et notamment de membres de la gauche (plus ou moins) radicale au sens large. L’avenir de ces initiatives dépendra de la capacité de ces militantEs à se laisser déborder et à ne pas « canaliser » l’expression de la colère.

Extension sociale par le développement de Nuit Debout parmi les couches populaires et les quartiers, ce qui passe autant par les thèmes et revendications abordés que par les lieux de développement. La préoccupation est présente place de la République à Paris notamment et c’est très positif. Mais cela ne pourra se faire qu’en rompant avec toute forme de paternalisme. Les quartiers populaires ne sont pas des « terres de mission » pour militantEs, des lieux sans politique. La connexion avec Nuit Debout ne pourra se faire qu’au travers le rôle moteur qu’auront les habitantEs de ces quartiers eux et elles-mêmes et les réseaux existants dans ces quartiers. La question se pose dans des termes similaires en ce qui concerne la solidarité avec les sans-papiers et réfugiéEs.

Extension politique enfin par le refus de toute « institutionnalisation » de Nuit Debout et de ses objectifs. L’idée d’une nouvelle « Constitution » à rédiger, lancée au départ par Frédéric Lordon, a été rapidement reprise dans les assemblées. L’aspect séduisant de la démarche est le radicalisme qui la sous-tend. Il n’y aurait plus rien à tirer des cadres institutionnels existants, il s’agit de refonder une réelle légitimité démocratique « par en bas ». Mais les risques sont aussi grands d’un nouveau formalisme oubliant que les règles d’un nouveau monde ne peuvent être écrits par une minorité mais supposent l’insurrection de la majorité. D’où la nécessité de l’extension politique aux questions soulevées dans les quartiers, de l’antiracisme, l’internationalisme, les luttes contre le sexisme et la LGBTphobie, etc. D’où la nécessité des questions posées autour du rôle du travail vecteur d’aliénation mais aussi potentiellement lieu collectif de lutte et de pouvoir social.

5- Le rapport au mouvement

La dynamique de Nuit Debout est étroitement dépendante du mouvement de lutte et très directement de la lutte contre la loi travail. C’est son premier carburant et un carburant essentiel. Hors la dynamique de mise en mouvement, d’élargissement, d’expériences collectives et de radicalisation le phénomène Nuit Debout risque de tourner en rond, de se perdre dans des débats abstraits et dans des impasses minoritaires ou/et de retomber, à défaut de force et d’expériences, dans des formes d’institutionnalisation. Le risque est là. Plus que jamais l’avenir de Nuit Debout passe dans sa capacité à se lier à la lutte contre la loi travail, à contribuer à la construction d’une grève générale.

CertainEs parlent déjà d’essoufflement et pronostiquent l’échec après que les manifestations du 9 avril ont été entre cinq et deux fois plus petites que celles du 31 mars et tandis que lycées et universités sont fermés par les vacances scolaires.
Mais ces analyses souffrent elles-mêmes de l’absence de dialectique entre le mouvement de lutte et Nuit Debout. Il est significatif que ce soit à Paris, là où Nuit Debout est le plus ancré, que la manifestation contre la loi travail du 9 avril n’a pas significativement faibli depuis le 31 mars.

D’une part parce que Nuit Debout commence à représenter potentiellement une « direction » alternative à celle des directions syndicales qui reculent devant la perspective d’un mouvement qui se met à leur échapper et d’une confrontation totale avec le gouvernement. Après le 9 avril, les directions syndicales appellent à une mobilisation...le 28 avril. La direction de la CGT-cheminots, considérée comme « de gauche », trahit désormais le mouvement l’opposant à un agenda corporatif différent. Le syndicat étudiant Unef, jusque-là en pointe, n’appelle désormais plus à des dates de mobilisation intermédiaires et se félicite des avancées obtenues auprès du gouvernement.

D’autre part parce que le mouvement contre la loi travail cristallise une colère bien plus globale que la seule résistance aux attaques du code du travail et que toute volonté de limiter ce mouvement au seul objectif de retrait de la loi et de le canaliser bridera son potentiel et sa combativité. Si Nuit Debout dépend du mouvement de lutte contre la loi El Khomri, celui-ci dépend de l’expression d’une révolte globale que cristallise Nuit Debout.

Le mouvement a démarré hors des cadres habituels. Nuit Debout a étendu considérablement le champ possible de ce « hors cadres ». A condition de se lier plus encore aux secteurs les plus combatifs dans les syndicats, aux lycéenNEs, aux étudiantEs, il pourrait contribuer à un nouveau pas en avant de la lutte contre la loi travail, à une grève qui deviendrait alors une grève politique.

6- L’avenir n’est pas écrit

Pendant que ce mouvement avance et se pose des questions, les trajectoires dominantes du pouvoir continuent d’opérer dans le sens d’un renforcement de l’Etat policier, dans le sens du racisme et du nationalisme, dans le sens des attaques sociales. Les monstres ne sont pas tapis dans l’ombre, ils sont là et bien là. Une de leurs formes est l’extrême-droite. C’est aussi pour cela que la trajectoire du mouvement le place nécessairement en confrontation radicale avec les politiques de la classe dirigeante et avec l’Etat.

Encore une fois cette confrontation ne progressera pas de manière linéaire. Le mouvement connaîtra sans doute des échecs partiels et des reflux apparents. Sans doute changera-t-il plus d’une fois de forme. Il faudra parfois qu’il sache s’engouffrer dans des flux massifs et spontanés, quitte à se taper dans un mur pour apprendre à le démolir ou le sauter. Parfois il dépendra d’initiatives prises par une minorité mais qui font sens pour des nombres plus importants.

Ce qui est sûr, c’est qu’après des années d’apparente atonie et de progression de toutes les tendances réactionnaires dans la société française, quelque chose a changé qui a fait à nouveau basculer l’espoir. Les pierres précieuses enfouies sous la lave durcie des derniers mouvements sont revenues à la surface avec la lave rougie, plus brillantes encore.

Les temps qui viennent ne seront pas moins durs. Mais désormais nous ne sommes plus condamnés à les subir couchés.

Denis Godard

P.-S.

* Article écrit pour la revue Viento Sur.
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37709

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Du Bataclan à Nuit Debout

11 AVR. 2016 PAR NOËL MAMÈRE

BLOG : LE BLOG DE NOËL MAMÈRE


Le vent se lève place de la République. La génération Bataclan est passée des terrasses aux Places. Les mêmes commentateurs qui, en novembre, s’émerveillaient de la résilience des trentenaires, revenus aux terrasses des cafés aussitôt après la tragédie, sont comme tétanisés, en avril, par l’émergence d’un phénomène politique et social qu’ils ne maîtrisent pas.

Le vent se lève place de la République. La génération Bataclan est passée des terrasses aux Places. Les mêmes commentateurs qui, en novembre, s’émerveillaient de la résilience des trentenaires, revenus aux terrasses des cafés aussitôt après la tragédie, sont comme tétanisés, en avril, par l’émergence d’un phénomène politique et social qu’ils ne maitrisent pas. Pourtant, ce sont ces mêmes jeunes qui relèvent la tête depuis le 31 mars 2016 ; Ils ressemblent à s’y méprendre aux chômeurs diplômés, fers de lance de la révolution de jasmin, en janvier 2011 à Tunis, aux Indignados de la Puerta del Sol à Madrid, aux Indignés d’Athènes et à ceux d’Occupy Wall Street.

Le portrait de la génération « Nuit Debout » explique ces similitudes : De Tunis à New-York, celles et ceux qui nous promettent des nuits plus belles que nos jours, ont entre 18 et 35 ans. Le caractère générationnel et citadin est évident : Ils sont étudiants, intermittents, travaillent en partie dans les secteurs de l’informatique, des réseaux sociaux et de l’audiovisuel, même si nombre d’entre eux enfilent les petits boulots pour survivre. Ils sont surqualifiés et encore plus marqués que les générations précédentes par la précarisation du travail, du logement et, surtout, par l’incertitude du lendemain.

Ils ne sont pas encombrés par les idéologies du passé, par les « ismes » divers et variés, qui donnaient sans doute un bagage politique aux générations militantes post soixante-huitardes mais qui les déconnectaient du réel. Les « Nuit debout » ne veulent pas faire la révolution, mais ils refusent d’abord que ceux d’en-haut continuent à se goinfrer sans limites avec l’évasion fiscale, les retraites chapeau, les rémunérations indécentes, la spéculation, les petites et grandes compromissions, sur le dos de ceux d’en bas. Ils veulent un autre monde où l’économie répondra aux besoins de la personne humaine et aux ressources de la planète, plutôt que de rechercher le profit maximum.

Peu importe leur nombre, finalement. Comme en 1995, quand les citoyens avaient donné « procuration » aux cheminots en grève pour combattre le plan Juppé, des millions de Français ont utilisé la pétition par Internet contre la loi Travail et, aujourd’hui, le mouvement horizontal « Nuit Debout » pour en finir avec la loi dite El Khomri.

Ce mouvement est né du besoin de convergence des luttes contre cette loi dictée par le Medef, dans une société de plus en plus compartimentée entre le public et le privé, les jeunes en formation et les chômeurs, les salariés dits protégés et les précaires. Car en instaurant la flexibilité du travail, le renversement de la hiérarchie des normes et le droit de licenciement pour le patronat, cette loi institutionnalise ce que les précaires diplômés ressentent depuis leur plus jeune âge. Pour eux, l’avenir est un tunnel sans fin, parsemé de petits boulots, de périodes renouvelées de chômage de moins en moins rémunérées, de stages bidons… 85 % des étudiants travaillent, mais ils savent ce que sera leur avenir et la menace de déclassement permanent qui pèse sur eux.

Ce n’est donc pas seulement la défiance et le rejet du gouvernement Valls-Hollande-Macron, qui sont à l’origine de ce formidable mouvement d’espoir, mais la volonté de changer la vie, de changer le cours de sa propre vie, de reprendre en main son destin, qui se jouent sur les places de la « Nuit Debout ». Si tout commence par la libération de la parole, comme en mai 68, il n’y a ici aucune espèce de fantasme de révolution violente mais une volonté, clairement réformiste et radicale, de changer les rapports de production et de consommation, de pouvoir et de domination.

Comme je l’ai constaté de visu, chaque jour ils s’inventent des règles démocratiques nouvelles, dans le respect de la prise de parole des autres. Ce n’est pas de l’entre soi, même si celui-ci les menace, mais une volonté de rompre avec la comédie politique qu’ils observent sur les plateaux télés et dans les palais nationaux. Pour ce faire, ils inventent leur contre-société, avec leurs propres codes, inspirés par la langue des signes, pour refuser la brutalité des discours et de la rhétorique guerrière propre aux partis. L’égalité est ici la loi d’airain : pas plus de deux minutes par intervention. Un modérateur fait respecter ces procédures de débats exigeants. Nous sommes dans l’invention d’une Agora de démocratie participative, qui ressemble à celle de la Commune de Paris, avant qu’elle soit obligée de résister militairement à l’assaut des Versaillais. Mettant à profit leurs compétences, ces nouveaux militants peuvent créer en une seule journée une radio et une « Télévision Debout », mettre en place un potager avec « Jardin Debout » ou leur propre chorale, avec « Chanson debout ». Ils réfléchissent à l’écriture d’une Constitution, au vote blanc, au revenu de base universel ou au salaire à vie. Rien n’est tabou. Tout est discutable. Ici, l’action revendicatrice et désobéissante se marie avec l’innovation sociale et l’imagination créatrice.

Cette ZAD en plein centre-ville est écologique ; Elle se reconnaît dans les valeurs, les principes et la résilience de la transition écologique, sans pour autant être dupe de la déliquescence du parti écologiste. Bien entendu, son rejet du PS est total. Ces déçus du Hollandisme n’ont d’ailleurs pas voté unanimement pour lui en 2012, une bonne partie s’étant réfugiée dans l’abstention ou dans les candidatures verte et de la gauche radicale. S’ils ont fait le succès de François Hollande en votant pour lui au deuxième tour, on ne les y reprendra pas en 2017. Et personne dans la classe politique traditionnelle n’est en mesure de récupérer cette intelligence collective en mouvement. La grande différence avec les Forums sociaux, c’est qu’au-delà de la confrontation des idées, les partis sont quasiment absents, même si quelques-uns de leurs représentants rodent autour de la Place. Ils sont tétanisés par un mouvement qui les dépossède de fait de leur rôle de faiseurs de rois de la démocratie.

En fait, les prémisses de ce mouvement étaient déjà exposées dans un livre paru en 2014 : « Constellations. Trajectoires révolutionnaires du jeune 21ème siècle » (collectif Mauvaise troupe. Editions de l’Eclat). Ce livre de 700 pages décrivait minutieusement les pratiques et la culture de cette génération et en dessinait un portrait saisissant.

Avec « Nuit Debout », la précarité et la peur du lendemain se sont transformées en volonté d’ouvrir les portes, de briser son isolement, d’en finir avec l’individualisme mortifère. Pour ces jeunes, le choix est devenu clair : Vivre Debout jour et nuit plutôt que de mourir couchés. Le besoin d’autonomie, d’empowerment, devient une force politique en devenir. Pourra-t-elle se construire ? Le mouvement pourra-t-il s’enraciner dans la durée et sur les territoires ? C’est là tout l’enjeu des prochains jours et de ces prochaines semaines qui vont suivre ce « 41 mars », pour dater l’An O1 de cette révolution pacifique. Je ne sais ce qu’il en adviendra. Mais qu’il reste à l’état de luciole ou qu’il s’épanouisse comme une nuée de papillons, rien ne sera plus comme avant.

Noël Mamère

Le 11/04/2016.

https://blogs.mediapart.fr/noel-mamere/blog/110416/du-bataclan-nuit-debout?utm

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